LECTURES VAGABONDES

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Bernhard Schlink : Le liseur / avis d’une liseuse-spectatrice.


Il y a 2 ou 3 ans, j’avais tenté de lire le liseur de Bernhard Schlink, roman paru en 1996 aux éditions Gallimard, roman qui, par ailleurs, a obtenu le prix Laure Bataillon en 1997. Le livre m’était tombé des mains au second chapitre, chapitre dans lequel Bernhard Schlink se lance dans une longue description de l’immeuble qui avait abrité les premiers amours du héros. C’est après avoir vu cet été le film de Stephen Daldry tiré du roman de Schlink : the reader, avec Kate Winslet, Ralph Fiennes et David Kross que j’ai eu envie de donner une seconde chance au liseur.

Mickaël a 15 ans lorsqu’il rencontre, à Berlin, Hanna Schmitz, 36 ans. Entre ses bras, il découvre l’amour et la sensualité. Hanna travaille comme employée dans un tramway et Mickaël est lycéen. La plupart du temps, c’est après l’école qu’il se rend chez sa maitresse. Fascinée par les livres, elle lui demande de lui faire la lecture à haute voix de grands classiques de la littérature. Et puis, un jour, Hanna disparait sans laisser d’adresse.

Quelques années plus tard, alors qu’il est étudiant en droit, Mickaël assiste à un procès dont les accusées sont d’anciennes gardiennes de camps de travail nazis. Parmi elles se trouve Hanna : la jeune femme est accusée d’avoir participé aux sélections de prisonnières dans ces camps et d’avoir laissé brûler vives des détenues dans une église, lors d’un convoi d’acheminement. Hanna se défend mal : elle avance l’argument selon lequel elle n’a jamais fait que son devoir, son travail. Les coaccusées profitent de la maladresse de la jeune femme pour lui faire endosser la plus grosse responsabilité dans l’affaire : Hanna aurait écrit un rapport mensonger sur l’incendie de l’église. Le juge décide de comparer les écritures. C’est alors qu’Hanna avoue être l’auteur du rapport, c’est alors que Mickaël comprend que la jeune femme est analphabète et a toujours fui pour cacher ce handicap. Son engagement dans les SS s’explique par le fait qu’elle voulait échapper à une promotion au sein de l’usine Siemens, dans laquelle elle travaillait, promotion qu’elle ne pouvait assumer sans révéler son secret. C’est le même scénario qui l’avait fait fuir alors qu’elle était la maitresse de Mickaël. Cependant, Mickaël décide de se taire : Hanna est condamnée à la prison à perpétuité.

C’est bien plus tard, après son divorce, alors qu’il est historien du droit, que Mickaël commence à envoyer à Hanna des cassettes sur lesquelles il a enregistré les lectures qu’il lui faisait lorsqu’il était son amant. Les envois s’étalent sur de longues années au cours desquelles la jeune femme apprend à lire seule, grâce à la voix de Mickaël. Et puis, un jour, Hanna obtient une remise de peine : elle va être libérée. Mickaël revoie celle qu’il a aimée dans sa jeunesse : c’est désormais une vieille dame qu’il décide d’aider à sa sortie de prison, sortie qui n’aura jamais lieu : Hanna se pend dans sa cellule la veille de sa sortie, laissant à Mickaël le soin de léguer l’argent qu’elle a gagné à la seule juive rescapée de l’église en feu.

Inutile de dire que le liseur est une splendide  histoire d’amour entre un adolescent et une femme mûre, entre un homme cultivé et une analphabète, amour qui défie le temps et qui marquera les personnages à vie : car ce n’est pas seulement parce qu’il n’a pas osé aider Hanna lors de son procès et qu’il se sent coupable que Mickaël renoue avec Hanna par l’intermédiaire de la lecture. Notre héros ne peut oublier l’amour qu’il a éprouvé pour elle : le seul de toute sa vie. Ce n’est pas seulement parce qu’Hanna pense qu’elle doit payer pour ses fautes envers les juifs qu’elle se suicide. Elle sait qu’à sa sortie, elle sera dépendante de son ancien amour, que jamais plus il ne lui fera la lecture. Bref, sortir de prison, c’est tuer un passé et une histoire qu’elle ne peut se résoudre à oublier et qui constitue peut-être le meilleur de sa vie. Cette dimension-là du liseur est portée avec brio à l’écran par Stephen Daldry : même si les critiques sur le film sont mitigées, les spectateurs ont bien accueilli ce film et je partage leur avis. Kate Winslet, qui tient le rôle d’Hanna, y est magnifique de sensualité, de douleur et de dignité. Je n’ai pas retrouvé la densité du personnage d’Hanna dans le livre de Schlink : son écriture, assez sèche, peine à rendre attachants les héros du roman et je n’ai guère été bouleversée par le livre, alors que le film m’a profondément émue.

Outre l’histoire d’amour, le liseur se double d’une réflexion sur la culpabilité, la justice, le rôle des différentes générations dans la délicate entreprise de juger les crimes nazis. Alors que dans le film, cette réflexion émane librement du scénario, laissant au spectateur le soin de la mener, le livre inflige au lecteur de longs chapitres arides à travers lesquels Mickaël se prend la tête et livre ses tourments au lecteur. Ici, point n’est besoin de réfléchir par soi-même : ce que le lecteur doit penser, le débat qu’il doit mener sur le traumatisme et la responsabilité de chacun – parents et enfants - au lendemain de l’holocauste est écrit noir sur blanc : Mickaël doit-il juger les seuls actes d’Hanna ? Tenter de comprendre et absoudre ? A-t-on le droit d’aimer des parents qui ont participé au nazisme, qui l’ont soutenu de manière passive ou active ? Les juger, les condamner innocente-il les enfants ? Voilà, en gros, quelques-uns des débats que mène Mickaël pour le plus grand ennui du lecteur. 

Enfin, le liseur est aussi un réquisitoire pour la culture et l’éducation : la vie d’Hanna est un exemple du handicap que constitue au quotidien le fait de ne savoir ni lire ni écrire. La honte et la dissimulation est son lot de tous les jours : pour donner le change, pour garder sa dignité, elle est prête à tous les sacrifices, y compris celui de sa liberté. Cet aspect-là de l’œuvre est plutôt bien senti et finalement, si on omet quelques chapitres fastidieux car trop explicites, d’une manière générale, le moment de lecture qu’on passe avec ce livre est tout à fait plaisant.

Il va sans dire que le jugement que je porte sur le liseur est sévère : c’est qu’il me reste en tête l’éclat du film, éclat qui manque un peu au livre. Cependant, il faut rendre à Schlink ce qui lui revient : même si Daldry a, selon moi, mieux su mettre en valeur les personnages et l’histoire, ce n’est pas lui qui a imaginé l’ensemble : c’est Schlink. Alors film ou livre ? Les deux, mon capitaine, car malgré mes critiques, je ne regrette absolument pas cette lecture.



17/01/2011
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