LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Amélie Nothomb : Attentat /et boum et bing et bang !


Voici un roman déroutant, original, et dérangeant : et boum et bing et bang ! Et si la laideur était plus forte que la beauté ? C’est en jonglant avec habileté avec ces deux concepts et les idées reçues qui leur collent à peau qu’Amélie Nothomb nous entraîne dans un sacré numéro de clown facétieux dans son roman Attentat, paru en 1997 aux éditions Albin Michel.

Epiphane Otos est l’être le plus laid que la terre ait jamais porté. Il tombe amoureux d’une magnifique actrice, Ethel, rencontrée lors d’un casting pour un très mauvais film d’art et d’essai. Notre pauvre héros, également surnommé Quasimodo tait son amour et devient le meilleur ami d’Ethel. Lorsque cette dernière tombe amoureuse d’un artiste-peintre, Xavier, il va même jusqu’à justifier le comportement mufle de ce dernier pour ne pas peiner sa bien-aimée. Entre temps, Epiphane est devenu une star : il est si laid que tout le monde se l’arrache, sur les podiums des défilés, pour mettre en valeur la beauté des mannequins… à moins que ça ne soit le contraire ! Puisque tout le monde se l’arrache. Un jour, il est convoqué pour devenir jury d’un concours de Miss, au Japon. Etre séparé d’Ethel, qui à ce moment-là songe à laisser tomber Xavier, lui paraît insupportable. Il lui envoie une multitude de fax depuis Kanazawa et commet l’irréparable : lui dire son amour. De retour en France, Ethel lui avoue qu’elle ne l’aime pas et ne peut continuer à le considérer comme son ami et son confident. Lors de l’ultime baiser d’adieu, Epiphane tue Ethel.

Dans Attentat, Amélie Nothomb se livre à une réflexion sur le laid, le beau et tous les paradoxes que la coexistence des deux peut générer. D’abord, les deux sont indissociables : l’un n’existe que parce que l’autre existe. Finalement, Epiphane est plutôt content d’être très laid : il se distingue ainsi des autres, se permet une certaine insolence intellectuelle : c’est le droit du laid que de pouvoir dire l’indicible : personne n’ose le contredire ! Il est si laid qu’il fait pitié… alors, personne n’ose en rajouter : par exemple, il se permet de mépriser l’entre-deux : ceux qui ne sont ni laids ni beaux et qui n’ont donc aucun goût, qui se contentent de la médiocrité (les repas SNCF, les films grand public qu’on passe dans les avions). Pourtant, dans le fond, Epiphane souffre : il est pris pour une bête de foire à tel point qu’un jeune top model, Francesca, voudrait coucher avec lui juste pour faire l’expérience de la laideur. Et puis, il y a Ethel qu’il aime en secret et qui le torture innocemment en ne lui cachant rien de sa liaison avec Xavier et des tourments qui en découlent.

Le beau et le laid sont aussi abordés au niveau de l’âme : la beauté intérieure. Epiphane n’est pas dénué de charme : il a l’esprit caustique, il est cultivé et esthète. Il est capable de renoncer à toute sexualité, l’amour qu’il porte à Ethel est exacerbé par une certaine obsession de la pureté. Pourtant, peut-on dire qu’il a une belle âme ? Lors du débat final, Ethel met le doigt sur le paradoxe qui gouverne Epiphane.

« Comment veux-tu être crédible avec tous tes beaux discours sur le combat contre les apparences quand tu as attendu de rencontrer celle que tu trouves la plus belle du monde pour tomber amoureux ? Le pire, c’est que tu me fais passer, moi, pour une salope. Mais le salaud, c’est toi ! Tu exiges une grandeur d’âme dont tu serais incapable. Tu attends de moi que je sois aveugle à ton physique et tu joues à la victime parce que je n’y consens pas. Alors que si j’avais été moche comme toi, tu ne m’aurais jamais regardée ! »

Et puis, Amélie Nothomb joue avec la notion d’amour possible ou impossible : lorsqu’il tombe amoureux, Epiphane est la proie d’un fantasme lié à la lecture de Quo Vadis. La belle Phrygie doit finir en martyre, piétinée et éventrée par un taureau. Epiphane rêve d’être ce taureau et de ravir à Phrygie-Ethel sa beauté. Or, dans le film que la belle Ethel tourne, elle est taureau. A la fin, c’est en se saisissant de ce dangereux accessoire de cinéma qu’Epiphane tue sa belle, réalisant par là son fantasme le plus profond. Et cet amour est alors à l’image d’Otos : monstrueusement consommé.

Ainsi, il y a des tas de manières d’assouvir un amour hors-norme, mais certainement pas dans la norme d’un rapport sexuel également consenti. Il fallait une fin à la démesure d’Epiphane : il pénètre le ventre d’Ethel à l’aide des cornes d’un taureau. Par ailleurs, cette fin est aussi un délicieux clin d’œil à la mythologie en la personne du minotaure.

Ainsi donc, avec Attentat, Amélie Nothomb nous offre un délicieux conte sur les paradoxes et les liens qui unissent la beauté et la laideur : ceux-ci entretiennent l’un avec l’autres des rapports tyranniques, tour à tour bourreau et martyre l’un de l’autre. Le tour de force d’Amélie ? Initier la victoire de la laideur sur la beauté, contrairement aux idées reçues avec lesquelles Attentat joue avec beaucoup de finesse.



16/03/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres