LECTURES VAGABONDES

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Christophe Ono-Dit-Biot : Génération spontanée / Spontanément, OUI !

 

                On se souvient tous de l’entrée fracassante de la téléréalité dans le PAF avec le lancement de Loft Story et de Loana super star en 2000. Depuis, la téléréalité a envahi nos écrans et il y en a pour tous les goûts car de nombreux domaines de la vie quotidienne font désormais l’objet de tout un panel d’émissions de divers formats : la cuisine, la déco, le relooking, la chansonnette, la survie dans un pays hostile, et bien sûr, les relations amoureuses et/ou amicales. Bien évidemment, ces émissions ne trompent pas les spectateurs qui comprennent très vite qu’une émission de téléréalité, c’est 90% de télé, et 10% de réalité. A ce sujet, quelques années après l’apparition de la téléréalité en France, Christophe Ono-dit-Biot signe un excellent roman - Génération Spontanée – sorti en 2004 aux éditions Plon.

                Axel est moniteur de natation à la piscine Drigny (Paris). Son métier l’ennuie prodigieusement. Il est secrètement amoureux d’une fabuleuse productrice de téléréalité : Félicia Duroc-Lambert. Il contacte son meilleur ami – Lorant, serveur dans un petit restaurant portugais – afin de le décider de faire équipe avec lui ; objectif ? Devenir célèbre. L’illumination lui vient un soir, lors d’une soirée d’anniversaire organisée par une vieille copine de lycée – Virginie Wolf qui passe son temps à écrire des thèses sur des écrivains inconnus. Axel demande à Virginie de lui confier un exemplaire d’un de ces romans de dessous les fagots ; en secret, il modernise l’ensemble et  vogue la galère ! Avec l’aide de Mérignac, un écrivain homosexuel qu’Axel ne laisse pas indifférent, et de Lorant qui accepte d’endosser le rôle de l’écrivain, le roman OGM paraît enfin, à grand battage médiatique ! En réalité, il s’agit donc d’un fake, d’une escroquerie littéraire car le roman a été écrit par un certain Raoul de Vénérande, écrivain inconnu du XIXème siècle qui s’est suicidé à l’époqque, car il était incapable de percer dans le monde littéraire. Lorant a beaucoup de mal à assumer le mensonge, les interviews le stressent. Myriam, la femme qu’il aime plus que tout, le quitte. La célébrité ruine sa vie. De son côté, Axel est heureux. Il a rencontré la femme de ses rêves, Félicia (la productrice d’émission de téléréalité) et file le parfait amour avec celle-ci. Il se lance avec elle dans la production d’émissions de téléréalité. Ensemble, ils conçoivent Cross Over, une émission qui cartonne mais qui va les pousser beaucoup trop loin. Axel et Félicia trouveront la mort sur l’île du tournage de Cross Over, emportés par un terrible ouragan.

                Ce roman - Génération spontanée – nous offre une double satire : celle des milieux littéraires contemporains et celle du monde des médias (et particulièrement celle de la téléréalité). Lorant n’est pas le moins du monde écrivain. Certes, il s’est déjà essayé à l’écriture : peine perdue ! Il n’a aucun talent. Il sera néanmoins propulsé en tête de gondole grâce à une usurpation de talent : voler l’œuvre d’un écrivain dont personne n’a jamais entendu parler, mort depuis belle lurette ! Derrière ce succès, cependant, il y a une immense machine de guerre sans laquelle rien n’aurait été possible. Pour se faire éditer, Lorant va bénéficier de l’intervention de l’écrivain homosexuel Mérignac qui s’est entiché de son ami Axel. Sans lui, la rencontre avec le monde de l’édition ne se serait sans doute jamais produite. Ensuite, il y a la course aux interviews, aux émissions littéraires… et en avant pour la starification de l’écrivain ! Christophe Ono-dit-Biot nous offre donc une satire vive, mordante, et particulièrement bien sentie des milieux littéraires et de la grande illusion de laquelle ils se nourrissent : de tout temps, il y a eu des usurpateurs comme Lorant : sans doute l’affaire Paul-Loup Sulitzer aura été celle qui nous aura tous marqués, mais il est de notoriété publique que les nègres sont légions dans le monde des écrivains. Mais de tout temps aussi, il y a eu des génies méconnus comme Raoul de Vénérande…. Pour eux, c’est la misère, la faim, la rage et la frustration de devoir rester dans l’ombre quand tant de scribouillards reçoivent tous les honneurs et les marques de reconnaissance. Au passage, Ono-dit-Biot fustige l’aspect marketing lié au livre : l’écrivain se doit d’avoir un look, une signature : Lorant est très mal à l’aise devant les caméras ? Il n’a rien à dire ? Eh bien ! Peu importe, cette attitude montre qu’il est un vrai génie qui s’accommode mal des tralalas du business : n’est-ce d’ailleurs pas cette attitude qu’adopte le génialissime Houellebecq, dans ses interview ? On adore ses silences et ses banales réparties. Quant au roman, le titre qu’il portera devra accrocher le lecteur potentiel comme la vache qui rit sur le couvercle de nos boîtes de nos crèmes de gruyère ! Le trouver, c’est quasiment un travail pour un Jacques Séguéla.  

                Avec la même férocité, Christoche Ono-dit-Biot fustige le barnum de la téléréalité. Félicia Duroc-Lambert veut crever l’écran et aller là où personne n’a jamais osé aller. Pour ce faire, elle décide de débarquer sur l’île où a lieu le tournage de Cross Over, une émission de téléréalité basée sur des couples qui battent de l’aile et qui ont décidé de se donner une dernière chance. Elle va donner en pâture aux spectateurs voyeuristes le couple qu’elle forme avec Axel. De la drogue est mise dans les verres pour désinhiber les candidats : violentes disputes et véritables partouzes vont se succéder sur les écrans des ménagères de moins de cinquante ans. Cependant, un violent ouragan est prévu sur l’île : Félicia détourne l’information et offre ainsi aux spectateurs sa mort et celle de tous les candidats en direct. Bien sûr, Ono-dit-Biot force le trait ! Je ne pense pas que les candidats soient sous l’emprise de drogues lorsqu’ils se livrent aux simagrées des scénarii de téléréalité. Jamais nous n’avons vu un acte sexuel en direct, ni la mort d’un candidat… Mais on flirte souvent dangereusement avec ce genre de choses : un jour, peut-être, la limite sera franchie ! Et puis, dans Génération Spontanée, nous passons aussi derrière les caméras : nous suivons la conception de l’émission Cross Over de A à Z. Entre les considérations financières et morales de ce genre d’émission, il y parfois un grand écart qu’il faut parvenir à tenir. Ensuite, il y a le casting : là encore, les candidats sont considérés comme des produits destinés à satisfaire des segments de spectateurs : il y a le couple d’ados, le couple âgé, le couple métissé, le couple intello, le couple prolo… etc ! Dans l’émission, on a placé quelques faux couples, des taupes liées à la production de l’émission. Leur mission ? Orienter le jeu, inciter les autres candidats à agir de telle ou telle manière… bref : mettre de l’huile sur le feu et du piment dans la sauce !

Et pour ajouter du piquant à l’ensemble, Christophe Ono-dit-Biot a choisi de jouer sur le principe du roman à clef : certains personnages font immédiatement penser à des personnalités médiatiques actuelles : Félicia Duroc-Lambert n’est-elle pas un peu Alexia Laroche-Joubert, la directrice la plus connue de la star Ac, et productrice de nombreuses autres émissions de téléréalité comme les ch’tis à Mykonos ? Armand, l’animateur déconnant et décontracté – quoique pas tant que ça lorsqu’il se tient dans les coulisses des émissions – ne serait-il pas Arthur, l’animateur de TF1 ? Bougeotte, le directeur des programmes, ne serait-il pas Etienne Mougeotte, un des anciens grands manitous de TF1 ? Et puis, parfois, nous croisons des célébrités en chair et en os : Laurence Ferrarri, PPDA, Ardisson… soit sur des plateaux-télés, soit dans des soirées-cocktail VIP.

De plus, Christophe Ono-dit-Biot a aussi joué sur la mise en abyme des histoires d’amour : le roman de Raoul de Vénérande était centré sur une histoire d’amour vénéneuse entre un homme et une femme, détruits par la pourriture du monde dans lequel ils évoluent. Nous retrouvons cette thématique dans les couples des héros de Génération Spontanée : Lorant et Myriam se séparent : leur couple ne résiste pas à la subite célébrité de Lorant, célébrité usurpée… et la jeune femme le sait d’instinct. Quant à Axel et Félicia, ils prennent de plein fouet les remous des exigences voyeuristes poussées à l’extrême liées à la téléréalité et meurent sous l’œil des caméras. Bref, si le roman du malheureux auteur inconnu du XIXème siècle est factice, l’histoire qu’elle raconte est c’est celle des personnages de Génération spontanée et le roman d’Ono-Dit-Biot apparaît alors à son tour de manière amusante et malicieuse comme une sorte d’usurpation d’un vieux roman déjà écrit par un autre.

Bien sûr, le roman comporte quelques faiblesses, notamment dans sa dernière partie. Effondré par la ruine de son couple, Lorant décide d’arrêter là les frais. Il avoue la supercherie littéraire du roman OGM dont il est supposé être l’auteur à un journaliste trop content du scoop que cette révélation représente. A partir de là, Christophe Ono-dit-Biot ne sait plus trop quoi faire de ce personnage qui devient un candidat truqué du jeu Cross Over. Bien sûr, on sait tous que pour faire du buzz, les émissions de téléréalité adorent faire intervenir des célébrités dans leurs concepts : la ferme des célébrités en est un exemple. Ainsi, l’écrivain déchu se retrouve donc recyclé dans un jeu de téléréalité. Bof ! Pour le reste, Génération Spontanée est un roman très réussi, drôle, caustique, qui sans avoir l’air d’y toucher torpille vraiment le monde de l’illusion médiatique et le cynisme de ceux qui en font partie.

Alors, bien sûr, Lorant et Axel sont deux petits arrivistes sans envergure qui vont faire leur trou dans ce milieu sans avoir aucun talent, comme c’est le cas de tant d’autres, mais encore faudrait-il qu’ils aient eu une initiatrice de la trempe de Madame de Beauséant (Balzac, Le Père Goriot) qui, lorsqu’elle explique à Rastignac les rouages du monde et la manière de parvenir, lui conseille de ne jamais avoir un sentiment vrai ! Car encore ici, nous voyons bien que l’amour est incompatible avec le cynisme nécessaire pour tenir le coup dans ce milieu factice et immoral. Ceux qui y cèdent malgré tout finissent par périr.

Mais trêve de considérations morales, justement… Qu’y-a-t-il à la télé ce soir ? Tellement vrai, Star Academy, les vraies Housewives, Le Bachelor, Top Chef, Les anges de la téléréalité, les ch’tis à Ibiza, Koh Lanta… De toutes manières, rien ne vaut un bon livre !



23/10/2013
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