LECTURES VAGABONDES

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Claude Michelet : Les gens de Saint-LIbéral - Tome 2 - Les palombes ne passeront plus. .

                      

 

 

            Après le très apprécié Des grives aux loups consacré au monde paysan d’avant la première guerre mondiale,  nous retrouvons la famille Vialhe qui évolue désormais entre la grande crise de 1929 et les événements de mai 1968. Le roman qui couvre cette longue et intense période s’intitule Les palombes ne passeront plus ; il est écrit par Claude Michelet et a paru en 1980 aux éditions Robert Laffont.

 

        C’est désormais Pierre-Edouard Vialhe, le fils de Jean-Edouard Vialhe, qui est le personnage principal du roman. Marié à Mathilde Dupeuch, il aura quatre enfants : Jacques, Paul, Mauricette et Guy. Chacun d’entre eux épousera un destin différent : Jacques, brillant étudiant qui se destine au métier de vétérinaire, est fauché par la débâcle de 1939. Il passera cinq années en Allemagne, en tant que prisonnier de guerre. Là, il découvre ce qu’est une ferme moderne et décide, finalement, de reprendre l’exploitation agricole de Pierre-Edouard. Paul, enfant turbulent, rêve d’aventures et s’engagera dans l’armée de Londres, aux côtés de De Gaulle. Ensuite, il fera carrière dans l’armée et périra en 1958, en Algérie. Mauricette deviendra institutrice et Guy, un brillant avocat parisien. Autour de  cette famille gravitent d’autres personnages : Léon, le maquignon, beau-frère de Pierre-Edouard, Berthe et Louise, sœurs de ce dernier, Félix – fils de Louise – les enfants des enfants… toute la population de Saint-Libéral. Ce petit village de Corrèze vit au gré des événements de l’Histoire - la guerre 39-40, les conflits liés à la décolonisation, l’instabilité des gouvernements de la quatrième république, les émeutes de mai 68 – et aussi ceux de la petite histoire : des hivers rigoureux qui tuent des arbres et les hommes, les canicules qui ruinent les récoltes, l’invasion des doryphores, le départ d’un instituteur, d’un médecin, d’un curé, la mécanisation du travail des agriculteurs. Mais surtout, c’est la désertification des campagnes qui modèle le monde paysan du XXème siècle et c’est sur ce constat amer que se termine Les palombes ne passeront plus.

 

              Sans doute, Les palombes ne passeront plus est un roman beaucoup plus inégal que Des grives aux loups. L’œuvre prend désormais la forme affirmée de chroniques du monde paysan et évolue de petits événements en petits événements plus ou moins intéressants. C’est ainsi que le roman s’ouvre sur les bêtises des deux frères Jacques et Paul qui s’amusent à bousiller les isolateurs de verre des lignes électriques : en effet, l’électricité arrive à Saint-Libéral, avec son lot de succès et de ratés. Puis, vient l’épisode des premiers doryphores qui attaquent les cultures : grand battage à Saint-Libéral pour éradiquer les parasites… avec lesquels, il faudra pourtant désormais compter. Et ainsi évolue le roman.

              Selon les événements racontés, le roman met en avant tel ou tel personnage. Certes, Mathilde et Pierre-Edouard sont les piliers de l’ensemble, mais autour d’eux évoluent leurs enfants et les habitants de Saint-Libéral et c’est là que le bat blesse, car certains sont, à certains moments, essentiels et centraux, puis disparaissent, de manière inexplicable. Ainsi, Jacques est-il mis en avant pendant son enfance, son adolescence, son engagement dans le conflit de 39… et puis, lorsqu’il reprend la ferme de son père, étrangement, il passe au second plan et sa carrière politique – il est en effet élu au conseil général de Corrèze - semble bien être une pièce rapportée destinée à colmater un manque d’inspiration  concernant l’évolution de ce personnage.

              Il faut dire qu’avec Les palombes ne passeront plus, Claude Michelet balaye une très longue période et qu’il a du mal à maîtriser cette matière très dense. Ainsi, les années 30-45 tiennent-elles des 2/3 du roman tandis qu’à peine 1/3 est consacré aux 23 années qui suivent la guerre. Par ailleurs, on a l’impression que les personnages sont parfois des alibis destinés à illustrer des circonstances historiques : ainsi, Berthe, la plus jeune sœur de Pierre-Edouard, est-elle devenue une modiste très en vue à Paris. Mais pendant la guerre, elle s’engage dans la résistance et sera déportée à Ravensbrück. Il faut dire que chez les Vialhe, on est toujours du bon côté, Jacques part à la guerre volontairement et sera le cocu de 40 – sa fiancée, en effet, le laisse tomber alors qu’il est prisonnier en Allemagne - et Paul part rejoindre l’armée de l’ombre qui libérera la France en 1944-45. Pourtant, le roman défend bien des idées pétainistes ! Travail, famille, patrie ! Mais encore faut-il avouer que ce sont là les valeurs « piliers » du monde paysan et que dans Les palombes ne passeront plus, c’est de l’amour pour ce monde-là dont il est question.

              Cependant, je dois bien avouer que j’ai eu du mal à arrêter ma lecture et qu’entre deux ballades dans le massif des Maures ou dans l’Esterel, je me suis régalée de ce roman dévoré sous le beau soleil printanier du Var. En effet, les personnages sont toujours aussi attachants et l’ensemble donne du monde paysan une image plus sombre que celle qui ressort du premier tome : en effet, le piler de Des grives aux loups – l’indestructible Jean-Edouard Vialhe – s’éteint doucement et meurt quelques temps après la guerre. L’instituteur et le curé sont remplacés par des successeurs nettement moins sympathiques qui finissent par vieillir et disparaître sans être remplacés. Car peu à peu, Saint-Libéral se meurt – et personne, « là-haut à Paris, chez les politiques», ne s’intéresse à cette agonie – de nombreuses fermes disparaissent tandis que celles qui restent grandissent, se mécanisent, s’endettent, peinent à joindre les deux bouts. C’est alors que ce petit endroit de Corrèze se transforme : de nouveaux habitants s’y implantent ; ils travaillent à la ville mais résident à la campagne, au calme. Et c’est ainsi que s’explique ce titre étrange : Les palombes ne passeront plus : dans une campagne qui s’urbanise, ces oiseaux ne trouvent plus place. On se souvient alors qu’avant 1914, à Saint-Libéral, il y avait des loups ! Dieu qu’il est loin ce temps-là ! Le temps des grives aux loups.



11/10/2015
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