LECTURES VAGABONDES

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Edgar Hilsenrath : Le nazi et le barbier/ Shoah et autres « délicieuses » extravagances…

          Il y a quelques jours, nous avons commémoré les 70 ans de la libération des camps à Auschwitz-Birkenau avec tout ce que l’affaire comporte de solennité et de recueillement. Cependant, il existe une œuvre et un auteur – Edgar Hilsenrath – qui traitent de la question juive de manière burlesque et toute empreinte d’humour noir : cette œuvre s’intitule : Le nazi et le barbier et paraît en France en 2010 aux éditions Attila. Ceci dit, l’œuvre a été écrite dans les années 70 et sa parution en Allemagne a été sujette à de nombreux problèmes et polémiques.

         Nous sommes dans les années 20 en Allemagne. Le jeune Max Schulz grandit auprès de sa mère et de son amant, Slavitzki, barbier de son état, violent à ses heures perdues. En face de leur salon sévit un autre coiffeur, un juif nommé Finkelstein ; Max se lie d’amitié avec son fils, Itzik et apprend le métier de coiffeur-barbier. Dans les années 30, Hitler prend le pouvoir et Max devient national-socialiste. Les juifs sont persécutés et la famille Finkelstein n’est pas épargnée. Pendant la guerre, Max est enrôlé dans l’einsatzgruppe D et exécute par balle de nombreux juifs. Plus tard, il travaillera dans un camp d’extermination.  A la fin de la guerre, Max réussit à sauver sa peau en endossant l’identité d’Itzig Finkelstein, son ami d’enfance juif qui fut exterminé avec toute sa famille par les nazis. Désormais, le génocidaire Max Schulz est donc un juif rescapé des camps de la mort et s’appelle Itzig Finkelstein. Grâce à l’argent récupéré par la vente des dents d’or des juifs, il part pour Israël où il décide de s’installer et de refaire sa vie. Là, il épouse la juive Mira, et devient sioniste et barbier.

        Le nazi et le barbier a connu bien des vicissitudes avant de trouver éditeur en Allemagne ! En effet, pendant les années qui ont suivi la période nazie et ses atrocités, la littérature allemande proposait des portraits d’hommes, certes au service du régime, mais néanmoins traumatisés par les horreurs qu’ils avaient à commettre et terrorisés par les représailles dont ils feraient les frais si jamais ils n’obtempéraient pas. Il est vrai que, pour le coup, Edgar Hilsentath ne fait pas dans la dentelle ! Le portrait de Max Schulz est particulièrement noir et affligeant dans la première partie du roman. Plutôt minable, Max trouve dans le nazisme l’occasion de prendre sa revanche sur les humiliations et les échecs qu’il a connus. Il s’adonne à toutes sortes de violences sur les juifs avec un plaisir sadique, celui qu’on ressent lorsqu’on a un pouvoir illimité sur l’autre. Ainsi, Edgar Hilsenrath offre un portrait sans complaisance de l’exécutant nazi : il assassine méthodiquement ses victimes, et c’est avec un parfait cynisme assumé et une lâcheté sans égale qu’il décide, à la fin de la guerre, de prendre l’identité juive de son ancien camarade d’enfance tué dans un camp d’extermination. Ceci dit, comme il faut bien refaire sa vie, c’est avec l’argent issu de la vente des dents en or récupérées sur les juifs que Max Schulz se lance dans toutes sortes de trafics liés au chaos de l’après-guerre, notamment celui du marché noir. On a reproché à Hilsenrath de traiter de la question juive et de la shoah avec un humour noir provocateur et choquant. Je ne partage pas vraiment cette impression car des camps de la mort, Hilsenrath ne parle pas : la période où son personnage officie dans un camp d’extermination est escamotée par le biais d’une ellipse.

         Cependant, si notre « héros » s’avère être un parfait opportuniste, il est aussi fasciné par la violence et a besoin d’épouser une idéologie extrémiste : après la guerre, il embarque pour Israël où il deviendra, à ses heures perdues, un terroriste dévoué à la cause sioniste. Cependant, Hilsenrath ne juge pas le terrorisme nazi et le terrorisme sioniste selon les mêmes mesures : il est beaucoup plus tolérant envers les actes pas toujours très pacifiques commis par les groupuscules terroristes juifs qui œuvrent pour la création d’un état juif… Je dois avouer que ce soutien inconditionnel des juifs pour leur cause avec cette tendance à défendre l’adage selon lequel « la fin justifie les moyens » a de quoi, parfois, énerver la lectrice très modestement « goy » que je suis. Par ailleurs, lorsque Max devient Itzig, le ton devient beaucoup plus lyrique : notre « héros » épouse très vite la judaïté, ses textes, ses coutumes, ses rites, sa culture. Mais Max-Itzig, l’assassin de tant de juifs, aura-t-il un jour des remords ? A la fin du roman, Edgar Hilsenrath pose la question de la culpabilité et de la réparation : il acquitte son « héros » car aucune réparation n’est possible (même si on condamne à mort Max Schulz, il est impossible de rendre la vie à toutes ses victimes) et Dieu-même est dépassé par cette question.   

         Il est vrai que le roman offre une vision particulièrement noire des rapports humains, marqués par la violence : enfant, Max a subi des sévices de la part de son beau-père ; plus tard, il participera activement à l’extermination des juifs d’Europe de l’Est, puis, alors qu’il faut fuir devant l’avancée rapide de l’armée rouge, il trouve refuge chez une vieille sorcière qui lui fera subir des violences et des privations.

         Enfin, j’ai beaucoup aimé l’écriture noire et truculente du roman, une écriture très particulière et ébouriffante qui revisite de manière originale l’histoire juive : de la persécution dans une Allemagne férocement antisémite à la création de l’état d’Israël en passant par l’époque du mandat anglais en Palestine et l’arrivée massive des juifs rescapés de la Shoah sur des paquebots affrétés par des organisations juives internationales. Sans aucun doute, dans toute la littérature qui traite de la question juive, ce roman est à classer à part. Cependant, Edgar Hilsenrath est juif ; voilà pourquoi il s’autorise ce ton très libre et très provocateur. Il est quand même dommage de constater que certaines questions, certains domaines, sont des sortes de chasses gardées ; c’est, selon moi, antinomique avec l’idée que je me fais de la littérature.



04/04/2015
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