LECTURES VAGABONDES

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Emile Zola : Germinal/Le génie de Zola à la pleine saison.

          Et si, en cette fin d’Avril où germent les fleurs de mon jardin, on se relisait un grand classique écrit par un auteur dont le génie est pleinement éclos et splendide ! Je veux bien sûr parler de Germinal écrit par Emile Zola en 1885.

 

           Nous sommes sous le second empire, et déjà, l’industrie est fortement implantée en France. Dans le Nord, c’est l’exploitation du charbon sous forme de mine qui la constitue principalement. Etienne Lantier, ancien machineur au chômage, arrive à Montsou pour y trouver un emploi. La mort d’une herscheuse lui permet d’être illico presto employé dans la gigantesque mine du Voreux. Là, il fait la connaissance de la famille Maheu qui l’aide, dans un premier temps, à trouver une chambre à l’estaminet de Rasseneur un ancien mineur aux idées socialistes bien affirmées, avant de venir habiter chez elle. Etienne tombe très vite amoureux d’une des filles Maheu : Catherine. Mais la jeune fille est aussi convoitée par le violent et emporté Chaval, qui, moins timide, s’empare de la jeune fille qui se laisse faire alors qu’elle nourrit, elle aussi, des sentiments pour Etienne. L’univers de la mine est effroyable ; le travail est très mal payé, mais la crise fait rage, le chômage menace les ouvriers qui négligent le boisage – besogne non payée – au profit de l’abattage. La compagnie du Voreux décide donc d’imposer aux mineurs de nouvelles conditions de paiement : le boisage sera payé, mais le prix de la berline de charbon sera diminué. Les mineurs ne peuvent accepter cette décision qui les plonge davantage dans la misère.  Etienne décide de mener le mouvement de contestation et propose la création d’une caisse de prévoyance pour tenir le coup en cas de grève. Celle-ci ne tarde pas à éclater. S’engage alors un bras de fer entre les mineurs et la compagnie du  Voreux - représentée par le directeur : Monsieur Hennebeau – qui, au départ, a quelque peu intérêt à la grève, lorgnant sur la mine d’un petit entrepreneur individuel, Deneulin, qui serait à coup sûr ruiné par un trop longue période d’inactivité. Car la grève devient bientôt générale, les mineurs s’en prennent en effet à ceux qui continuent de descendre et le mouvement fait tache d’huile. Au bout de deux mois et demi de grève, si, d’un côté, la compagnie est inquiète des pertes financières engendrées par l’inactivité et de la détérioration du matériel immobilisé, les mineurs sont désespérés : la famine fait rage (une des enfants Maheu, d’ailleurs, meurt de faim) ; pour autant, céder n’est pas encore à l’ordre du jour. La compagnie du Voreux fait donc appel à l’armée et à des mineurs venus de Belgique destinés à remplacer les grévistes.  L’affaire tourne mal et l’armée tire sur les grévistes agressifs. Maheu et d’autres sont tués. Ce massacre signe l’arrêt de la grève. Les mineurs, désespérés, affamés, décident de reprendre le travail en acceptant les conditions de salaire qu’ils avaient refusées au départ. Mais l’anarchiste Souvarine, qui rêve d’anéantir et de raser le monde capitaliste, sabote le cuvelage du Voreux. Ainsi, lorsqu’ils reprennent le travail, c’est la catastrophe. La mine est vite inondée. Certains ouvriers n’ont pas le temps de remonter et restent prisonniers du ventre de la terre. Etienne, Catherine et Chaval font partie de ces malheureux. L’affrontement entre Etienne et Chaval est inévitable : Etienne tue son rival et s’unit à Catherine pour la première et dernière fois. Epuisée, la jeune fille succombe. Le bilan de la grève est amer, mais l’espoir a été semé au cœur des mines. Etienne quitte donc Montsou avec l’ambition de faire de la politique et d’être de ceux qui font germer un monde nouveau, juste et égalitaire.

 

          Avec Germinal, inutile de dire que Zola signe à nouveau un chef d’œuvre impérissable, véritable fresque du monde ouvrier du XIXème siècle. Germinal est donc un roman social, politique, mais aussi sentimental et profondément humain.

          Qui pense Germinal pense aussitôt au nord de la France, à la mine, aux corons, au monde ouvrier, à la misère. Bien sûr, Germinal peut être cité en exemple pour l’investigation menée par Zola dans les mines du Nord de la France. La vie de labeur dans le ventre de la terre est décrite avec précision et minutie au moyen de termes techniques. Mais ce qui est le plus saisissant sur ce point, c’est la vision épique du Voreux, appréhendé comme un gigantesque et terrifiant monstre tapi dans l’obscurité, assoiffé de sang humain, avide de la chair des travailleurs.

          Germinal, c’est aussi un roman politique qui met en opposition le monde des bourgeois, des capitalistes qui se goinfrent et paressent en attendant que l’argent investi rapporte, et le monde des ouvriers qui crèvent de faim, travaillent comme des brutes et usent leur santé dans les mines. Zola se plait d’ailleurs à bien marquer l’opposition entre les deux mondes à travers des scènes de repas bourgeois où la nourriture abonde et l’évocation de la famine qui accable les ouvriers en grève. Cependant, la présentation de ces deux classes sociales n’est pas manichéenne, mais plutôt nuancée. Côté bourgeois, nous avons Les Grégoire qui, grâce à un investissement de leurs aïeux dans les mines, vivent tranquillement de leurs rentes et ont une approche paternaliste du rapport avec les mineurs. Deneulin est un self made man qui a investi sa fortune dans une petite mine et à qui la grève casse les reins. En effet, le monde capitaliste devient anonyme et froid ; c’est le monde des actionnaires qui investissent leurs capitaux dans la même affaire ; Le Voreux est l’exemple de ce type d’affaire gigantesque avec à sa tête un directeur salarié qui fait son travail avec dureté. Côté ouvriers, si Les Maheu sont l’emblème de la famille honnête, propre et travailleuse, ce n’est pas le cas de tous. Chaval est l’exemple de l’ouvrier bas du front, égoïste, violent, peu scrupuleux. Des crapules, il y en a aussi chez les ouvriers. Et puis, si chez les ouvriers le sexe fait partie de la vie quotidienne et est largement pratiqué dans les maisons comme dans la nature, ce n’est pas le cas chez les bourgeois qui, tout en pratiquant parfois l’adultère, sont brimés par une morale étouffante. Hennebeau enrage et crève de ne pouvoir posséder sa femme qui le trompe avec son neveu Négrel. Il envie la liberté sexuelle des ouvriers. Finalement, Zola montre que le bonheur n’est pas forcément du côté des nantis.

          De manière également très sensible, Emile Zola évoque la condition de la femme dans le monde ouvrier. En effet, peut-être parce qu’elles mettent au monde des enfants, les femmes sont d’autant plus déterminées à mener la grève jusqu’au bout, pour un avenir meilleur. La Maheude, femme droite et courageuse, mène la cohorte déchainée de celles qui vont aller jusqu’à émasculer l’épicier Maigrat qui a l’habitude d’exploiter la misère des femmes qui ont faim en leur faisant payer les provisions en nature. La malheureuse Catherine sera victime du désir et de la violence de Chaval. D’une manière générale, les femmes sont soumises aux désirs des hommes ; parfois, elles les utilisent adroitement, parfois elles les subissent.

          Bien entendu, le titre du roman est emblématique de la dimension engagée du roman. Germinal, c’est un mois du calendrier révolutionnaire, un mois du début du printemps, celui où germent les graines qui fleuriront et donneront des fruits à la belle saison. La métaphore est assez simple. Germinal, c’est aussi l’histoire de ces premières grèves du monde ouvrier qui commence à se fédérer dans l’Internationale, donnant lieux à des associations qui déboucheront sur les syndicats. En effet, le monde ouvrier est infiltré par des intellectuels, parfois de simples beaux-parleurs, qui diffusent les idées de la révolution rouge : certes, ces idées sont multiples. Certains sont ouvertement marxistes, comme Etienne, d’autres, plus conciliants, comme Rasseneur, d’autres sont tout à fait radicaux, comme l’anarchiste Souvarine. Cependant, si on sait que Zola était ouvertement socialiste, il n’est pas toujours complaisant avec l’Internationale qui voit le jour sous le second empire. Finalement, cette association des « travailleurs de tous pays » est très vite gangrénée par des ambitieux qui s’embourgeoisent : Etienne semble d’ailleurs tourner le dos au monde ouvrier qui lui fait peur pour s’engager dans cette voie qui lui permet de s’élever au-dessus de sa condition.

           Enfin, et puisqu’il faut bien conclure, Germinal, c’est un roman dans lequel le génie de Zola et la puissance de sa plume soufflent à pleins poumons. Que ce soit dans l’évocation de la masse ouvrière en furie ou dans celle de la misère d’une petite fille qui meurt de faim, on est pris aux tripes. Des personnages abjects comme Mme Hennebeau nous dégoûtent. D’autres, devenus presque inhumains à force de travailler comme des bêtes dans ce monde parallèle qu’est la mine nous inquiètent. D’autres, comme la petite Mouquette, qui aime tant la vie et faire la culbute avec les hommes, nous émeuvent lorsqu’ils tombent par terre, injustement, innocemment.

          Voilà autant de bonnes raisons, si vous ne connaissez pas Zola, si vous ne connaissez de la littérature que les best-sellers du moment, de faire une petite halte à Montsou pour faire un bout de chemin en compagnie d’Etienne Lantier, des Maheu, mais aussi des Hennebeau et de toutes ces figures puissantes qui hantent cet opus des Rougon-Macquart.



17/01/2017
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