LECTURES VAGABONDES

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Eskhol Nevo : Neuland / Encore une terre promise que ce Nouveau Pays

     

    Après avoir eu un gros coup de cœur pour Quatre maison et un exil d’Eskhol Nevo, roman qui a reçu le prix de la fondation France-Israël en 2008, j’ai voulu me replonger dans une autre œuvre du même auteur. Même si j’ai moins aimé Neuland – paru en 2014 aux éditions Gallimard – je dois dire qu’on est de nouveau face à un excellent roman. 

 

          Dori et Inbar correspondent par internet. Leurs situations respectives font qu’il est préférable de rompre le contact entre eux, pourtant, ils ne savent s’y résoudre. Retour un mois plus tôt avec Dori. L’homme, qui vient de perdre sa mère, quitte sa femme Roni (avec laquelle il est en crise) et son fils adoré Neta (qu’il cajole trop) pour se rendre en Amérique du Sud, en Equateur, à Quito, où son père s’est rendu et où lui et sa sœur Tsééla ont perdu sa trace. Il engage Alfredo, un détective privé, et ensemble, ils se lancent sur les traces de Mani Pèleg, le père de Dori. Après plusieurs jours d’errance, ils découvrent que Mani Pèleg se trouve sur les bords du lac Titicaca. C’est donc là-bas que se poursuit leur voyage. Nous repartons alors un mois auparavant en Israël. Inbar décide d’aller voir sa mère qui habite Berlin. Nous découvrons aussi l’itinéraire de sa grand-mère Lili qui, aux moments les plus noirs du nazisme ? est partie pour la terre « d’Isrouël », bien déterminée à s’intégrer dans une colonie de juifs qui auront pour vocation de la cultiver et de la mettre en valeur. Si elle est déjà amoureuse et fiancée à Nathan, elle rencontre dans le train qui l’emmène loin de Berlin un musicien trompettiste nommé Fima qui l’attire beaucoup. Après le train, il y a le bateau sur lequel Fima et Lili se rapprochent. L’arrivée sur la terre « d’Isrouël » est problématique car Fima tombe entre les griffes des anglais et est détenu dans le camp de Sarafand. Lili, quant à elle, retrouve Nathan et va s’installer au kibboutz avec lui. Cependant, elle ne se plait pas dans cet endroit et rêve toujours de Fima. Des années plus tard, alors qu’elle est devenue mère, Fima réapparait : il a décidé de refaire sa vie en Argentine, dans un Neuland et vient pour demander à Lili de le suivre. Mais Lili décide de rester en Israël. Mais revenons à Inbar qui, à Berlin, se dispute avec sa mère pour un oui ou pour un non. Il faut dire que le suicide de l’enfant chéri d’Hannah (c’est ainsi que se prénomme la mère d’Inbar), Yoavi, a détruit la famille. Après sa mort, le père d’Inbar est parti en Australie refaire sa vie. Il a désormais un autre fils : Réouven. De son côté, Inbar ne supporte pas l’Allemagne : sa famille – hormis sa grand-mère Lili, partie pour Sion –a été décimée par le nazisme. Il est donc temps de quitter Berlin. Au moment de prendre l’avion qui doit la ramener en Israël, auprès de son mari – Eytan - Inbar décide de prendre un vol pour le Pérou. Il faut dire qu’au moment de son départ pour Berlin, à l’aéroport Ben Gourion, elle a vu un homme qui lui plaisait et qui partait pour l’Amérique du Sud (il s’agit de Dori). Après une brève escale à Lima, elle retrouve donc Dori et décide de faire route avec lui et Alfredo, toujours à la recherche de Mani. Sur les rives du lac Titicaca, Dori découvre dans une auberge le journal de son père, journal qui trahit le traumatisme qu’il a ressenti lors de la guerre du Kippour, la peine qu’il a éprouvé à la mort de son épouse, Nourik. De l’au-delà, elle lui aurait intimé d’aller en Argentine, là où le baron de Hirsch avait acheté de nombreuses terres pour y fonder un foyer national juif. Inbar décide d’accompagner Dori en Argentine tandis qu’Alfredo décide de les quitter : son père, qu’il hait, y habite. C’est sur cette terre d’Argentine que Dori et Inbar retrouvent Mani Pelèg. Il dirige de manière inédite une sorte de kibboutz nouvelle génération qui s’appelle Neuland. Mani est victime d’hallucinations – un chaman lui a donné une substance qui permet de rêver, substance qui, selon Dori est une drogue. Il tente d’établir un nouvel état juif selon les principes du père du sionisme : Theodore Herzl. Dori ne comprend pas son père qu’il prend pour un maboule. Inbar, de son côté, est séduite par Neuland qui propose, entre autre, un espace thérapeutique pour tous les traumatisés, notamment pour ceux qui ont fait la guerre du Kippour. Mais la guerre, justement, éclate en Israël et Dori et Inbar rentrent dans leur pays. Là, ils retrouvent leurs conjoints respectifs et leur vie de couple en crise. Inbar décide de quitter Eytan. Elle donne rendez-vous à Dori à Jérusalem, au mur des lamentations, où chacun de son côté laisse un vœu écrit sur un bout de papier. Autrefois Lili, la grand-mère d’Inbar, n’est pas partie avec Fima, le grand-père de Dori. Qu’en sera-t-il d’Inbar et de Dori ? C’est sur cette fin ouverte que se termine Neuland.

 

          Avec Neuland, Eskhol Nevo nous offre encore une fois un bien beau roman qui reprend le thème du juif errant, de la maison et de l’exil ; on se souvient du formidable roman Quatre maison et un exil, qui traitait déjà de ce thème difficile avec beaucoup de compassion et de sensibilité. Dans Neuland, l’horizon s’ouvre puisque l’intrigue se situe assez peu en Israël, et beaucoup aux quatre coins du monde, particulièrement en Amérique du Sud.

          Cependant, Neuland évoque aussi l’épopée des kibboutzim et son prolongement. On découvre le père fondateur de ce mouvement : Théodore Herzl - et à travers le récit de la grand-mère Lili, le début de ce mouvement original qui nous ramène aux sources de la fondation de l’état d’Israël. Ainsi, le roman Neuland raconte-il la recherche d’une terre où fonder un peuple dans une organisation idéale : Alt Neuland, c’est la terre d’Israël sur laquelle les Kibboutzim ont installé les colonies juives, selon les principes utopiques de Théodore Herzl. Devant l’échec de cette utopie, se dresse Neuland, une terre perdue en Argentine sur laquelle Mani Pelèg tente de renouveler l’expérience avec des méthodes sensiblement différentes.

          Par ailleurs, Eskhol Nevo met en question l’état actuel d’Israël. C’est en effet une terre de conflit, de souffrance, une terre où les juifs font subir à d’autres ce qu’ils ont subi, c’est-à-dire : l’exil. C’est pourquoi il est nécessaire de trouver une nouvelle terre à mettre en valeur, une terre sur laquelle on se livrerait à de nouvelles expériences de vie en communauté, une terre qui deviendrait un modèle pour toutes les autres. Et cette terre nouvelle pourrait bien voir le jour en Argentine. Pourtant, il y a bien un enracinement des personnages en Israël. En effet, le roman se termine par un retour aux sources puisque c’est devant le mur des lamentations – seul mur qui reste après la destruction du temple par les romains – que Dori et Inbar formulent leurs vœux pour leur avenir. La terre promise, c’est donc bien toujours la terre d’Israël.

          Cependant, le roman présente des personnages en vadrouille, en errance. Ils rencontrent d’autres personnages qui eux aussi voyagent, notamment toute une bande d’étudiants que connait Dori. De plus, tous les personnages principaux du roman sont hantés par leur passé. Inbar est traumatisée par le suicide de son frère ; Dori, quant à lui, est tourmenté par sa paternité. Et puis, bien sûr, il est aussi question d’amour dans Neuland qui présente des histoires d’amour croisées : Lili est déchirée entre sa passion pour Fima et son amour pour son époux Nathan ; parallèlement à eux, Inbar, qui est mariée, tombe amoureuse de Dori, lui aussi marié. A travers ces histoires d’amour croisées, s’ouvre le thème de l’autre possibilité et de tous les possibles, le thème des routes qu’on prend et de celles qu’on aurait pu prendre. On peut ainsi établir un parallèle entre les personnages tiraillés entre plusieurs amours et les terres d’asile où ils peuvent s’installer. Tout comme Alt Neuland apparait comme un possible à Herzl, Neuland est un possible pour les juifs qui veulent transformer Israël, lui rappeler ce qu’il doit être et ce qu’il ne doit pas être.

          Ainsi, tout comme Herzl a écrit Alt Neuland, un essai qui a débouché sur les kibboutz, Nevo écrit Neuland, un roman douloureux et plein d’espoir : trouver le chemin de la paix dans l’âme juive, voilà ce qu’il recherche. 



02/04/2024
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