LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Eugène Labiche : Le voyage de Monsieur Perrichon


Cette nuit, en proie aux tourments de l’insomnie, je me suis replongée dans cette petite pièce de théâtre ô combien divertissante et vivante : Le voyage de Monsieur Perrichon écrite en 1860 par Eugène Labiche et Edouard Martin. Nous sommes ici face à un très bon vaudeville, parfaitement construit, dans lequel toutes les ficelles du comique sont utilisées avec brio.

Monsieur Perrichon, sa femme, et sa fille, Henriette se trouvent à la gare de Lyon : destination, Chamonix et la mer de glace. Cependant, ils ne partent pas seuls : Henriette a deux amoureux, Armand et Daniel. Tous deux convoitent la jeune fille : que le meilleur l’emporte ! Nos deux jeunes rivaux décident d’utiliser des armes différentes, mais leur cœur de cible, c’est Monsieur Perrichon, car c’est le père qu’il faut avant tout séduire afin d’obtenir la main de la fille. Armand décide de rendre service au vieux bourgeois : il lui sauve la vie lors d’une excursion dans les montagnes, il lui évite un procès avec les douanes, il s’interpose entre lui et le commandant Mathieu qui le provoque en duel. Daniel, de son côté, joue sur un tout autre tableau… Il fait semblant de se laisser tomber dans une crevasse et laisse au vieux bonhomme le soin de le sauver ; ensuite, il fait venir les journalistes pour un superbe article dans un journal… Il va même jusqu’à commander un tableau à un peintre, tableau sur lequel on pourrait voir un tout petit mont blanc et un énorme Perrichon. Si la jeune Henriette en pince pour le bel Armand… le père, quant à lui craque pour Daniel. Qui finira par l’emporter ?

On retrouve dans cette pièce tous les ingrédients d’un bon vaudeville. La satire de la bourgeoisie, dans un premier temps à travers le portrait de famille Perrichon : le père, surtout, à la fois grotesque et autoritaire. Par exemple, il demande à sa fille de tenir un carnet de voyage dans lequel ses pensées seraient consignées : sublimes pensées, en réalité ! Puisque seules les dépenses du bonhomme seront finalement inscrites dans le document. L’accoutrement du bourgeois en partance pour les montagnes n’est pas non plus épargné : Monsieur Perrichon est en effet obsédé par son panama ! Enfin, son inculture est mise en scène à travers la superbe faute d’orthographe qu’il laisse sur le livre des voyageurs puisque Monsieur Perrichon n’est pas allé à la mer de glace, mais à la mère de glace.

Mais le plus réjouissant, c’est le comique de caractère… l’orgueil et la suffisance sont en effet au cœur de cette pièce qui nous donne à tous une sérieuse leçon à ce sujet. Monsieur Perrichon n’aime guère être redevable : voilà pourquoi il déteste Armand qui ne cesse de lui rendre service. Par contre, il se laisse avoir par le cynique Daniel qui lui fait croire qu’il est un être exceptionnel, un vrai héros, en somme. Bref, la vanité de Monsieur Perrichon est sans doute de la dimension du mont blanc à l’attaque duquel il se lance. Sensible à la flatterie, il recevra une bonne leçon à la fin de la pièce… Changera-t-il pour autant ?

Par ailleurs, la pièce est très vivante et parfaitement rythmée : de nombreuses scènes sont construites en parallèle, ce qui permet de jouer sur le comique de répétition : aux scènes de séduction d’Armand répondent celles de Daniel, par exemple. Par ailleurs, ces dernières sont très courtes et rythmées par les entrées et sorties des personnages. Comme dans tout vaudeville qui se respecte : on ne s’ennuie pas une minute.

Le seul bémol que j’ai envie de mentionner ici, c’est sans doute le traitement des personnages féminins : ils sont assez insignifiants et falots. Henriette, l’enjeu de la pièce, n’apparait que fort peu, seulement pour confier son attirance pour Armand. Madame Perrichon, incarnation du bon sens, soutient sa fille… mais ce n’est guère elle qui fait la leçon à son mari, ce n’est guère elle que ce dernier écoute. On trouve ce travers dans de nombreux vaudevilles et comédies bourgeoises. Dans toutes les affaires, qu’elles soient sentimentales ou financières, c’est monsieur qui porte les culottes… la femme n’a quasiment pas la parole. On retrouve ici, bien sûr, un trait lié aux mœurs bourgeoises du XIXème siècle : il ne serait sans doute pas pertinent d’en user autrement avec les femmes,  dans ce type de théâtre, puisque chez les bourgeois, c’est ainsi qu’elles sont traitées. De quoi faire réfléchir car même aujourd’hui, dans certaines familles, c’est encore ainsi que ça marche.

Bref, j’ai passé un bon moment, cette nuit, en compagnie de la famille Perrichon… ensuite, la divine Morphée est venue me chercher, vers quatre heures du matin… Alors merci à Eugène Labiche pour ce petit intermède nocturne !    



08/05/2010
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres