LECTURES VAGABONDES

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Franck Bouysse : Glaise / Terres de 14

       

          En cette semaine du 11 novembre, comme d’habitude sur ce blog, je vous propose d'aller à la rencontre d'un roman qui traite de la Grande Guerre (c’est ainsi qu’on surnomme la première guerre mondiale). Nous allons donc nous plonger dans un roman de Franck Bouysse intitulé Glaise. Ce dernier parait en 2017 aux éditions de La manufacture des livres.

 

          Dans le Cantal, Victor Lary est obligé de partir pour la guerre. Nous sommes en 1914. Sa femme, Mathilde, reste seule avec son fils, Joseph, ainsi qu’avec la mère de son époux, Marie. Pour les travaux de la ferme, la famille Lary peut compter sur l’aide de Léonard, un ami du grand-père. Cependant, les Lary ne sont pas en bons termes avec leur voisin, les Valette. Chez ces derniers se sont installées Hélène et Anna, membres de la famille Valette venus là pour passer la guerre de manière protégée. Bien vite, Joseph tombe amoureux d’Anna ; Valette voit les relations des deux jeunes gens d’un mauvais œil. Il en va de même pour la mère de Joseph. Pourtant, les deux jeunes gens continuent de s’aimer envers et contre tous. Bientôt, le malheur s’abat sur les Valette ; leur fils, Eugène, est tombé sur le champ de bataille. Irène décide d’avoir un autre enfant malgré son âge avancé. Cependant, elle tombe enceinte. Au village, l’arrivée d’un étranger, un soldat, sème la curiosité. Mathias – c’est ainsi que se prénomme ce soldat – parait très intéressé par les fermes de Valette, de Léonard et des Lary. Un jour, alors qu’il tombe sur Valette, il lui révèle qu’il fut l’amant de son fils Eugène. Ivre de colère, Valette tue Mathias à coups de pierre. Et puis, un jour, c’est Joseph qui s’en prend à Valette, convaincu que ce dernier va, tôt ou tard, tenter de violer Anna. Il frappe l’homme qui fait une mauvaise chute : il restera paralysé jusqu’à sa mort, soigné par sa femme, Irène, à moitié folle : sa grossesse était purement imaginaire. Jamais plus, elle n’aura d’enfant ; seul son époux, devenu infirme, lui reste comme d’un enfant à s’occuper.  

 

          Avec Glaise, Franck Bouysse signe un roman âpre et original qui traite de la Grande Guerre vue du côté de ceux qui restent : les femmes, les enfants, les vieux. C’est en s’appuyant sur ces bras-là que les fermes doivent tourner et vivre. A ce titre, le roman fait focus sur le rôle des femmes, incontournables travailleuses. Ce sont elles qui endossent le rôle de leur mari parti à la guerre. Ainsi, Mathilde ressent une transformation intérieure irréversible ; quoiqu’il advienne, elle ne pourra être à nouveau la Mathilde qui s’efface derrière un époux. Et pour parfaire ce tableau d’une terre exsangue, les bêtes, elles aussi, sont appelées à se sacrifier pour la patrie. Soit elles seront abattues pour nourrir les soldats, soit elles sont acheminées vers les champs de bataille pour soutenir l’effort de guerre.

          Par ailleurs, le roman évoque des temps de malheur généralisé. Ainsi, au malheur collectif que représente la Grande Guerre s’ajoute le malheur individuel : la mort rode aussi dans les campagnes d’Auvergne. Mathias sera assassiné, Valette subira un accident gravement invalidant, Irène deviendra folle de douleur ; Marie, la grand-mère, s’éteint paisiblement chez elle, car la mort naturelle existe toujours, même au sein de ce monde où elle survient n’importe où et n’importe quand.

          Pourtant, au milieu de ce carnage, il y a l’amour. Ainsi, Anna et Joseph s’aiment-ils et apparaissent-ils comme une note d’espoir dans ce sombre tableau de cette époque que dresse Glaise. Leur jeunesse et leur amour laissent présager un avenir possiblement heureux.

          De plus, le roman développe une vision noire de la paysannerie, notamment à travers le personnage de Valette. Celui-ci est un homme violent et concupiscent. Il songe à violer Anna ; il a des relations sexuelles avec un veau à peine né ; il tue l’amant de son fils, ne supportant pas la révélation de l’homosexualité de ce dernier, alors que lui-même copule avec des bêtes.

          Enfin, Glaise évoque aussi la nature, aussi bien à travers les somptueux décors de montagne que dans ses plus petites créations comme les insectes ou les fleurs. A ces temps tourmentés, elle ne prend guère part, continuant à vivre sous ses propres lois, indifférente face aux conséquences de la folie humaine. Imperturbable. Joseph, quant à lui, fait le lien entre cette nature étrangère à l’homme et le monde humain et ses représentations. En effet, il aime, tel un démiurge, sculpter des formes animales dans la glaise. 

          En conclusion, petite réflexion sur le titre du roman. Glaise évoque aussi bien la boue qui caractérise les tranchées de la Grande Guerre (même si le roman tient le lecteur à distance des tranchées, on a conscience, à chaque page, que l’horreur se joue à quelques centaines de kilomètres du Cantal) que la terre fertile des campagnes labourées par les paysans. Glaise est un roman sombre, cependant travaillé par une énergie vitale qui lui donne toute sa force.



12/11/2023
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