LECTURES VAGABONDES

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Frédéric Beigbeder : Un roman français / Un roman made by Frédéric Beigbeder

         

 

   Compte-tenu de la propension au nombrilisme qui caractérise l’écrivain Frédéric Beigbeder, il est étonnant qu’il n’ait pas écrit son autobiographie bien avant 2009. C’est en effet en cette année-là qu’il fait paraître, aux éditions Grasset, Un roman français et qu’il obtient, pour cette œuvre, le prix Renaudot.   

 

          Nous sommes à Paris, le 28 janvier 2008. L’écrivain connu de tous – il est aussi un personnage télévisuel – Frédéric Beigbeder, à la fois narrateur et personnage de ce roman autobiographique – est placé, en garde à vue au commissariat du VIIIème arrondissement de Paris, pour avoir sniffé une ligne de coke en pleine rue, sur le capot d’une voiture. Très vite, cette privation de liberté et les conditions de détention lui sont tellement insupportables qu’il décide d’écrire son prochain roman dans sa tête. C’est ainsi qu’il part à la recherche du temps perdu, c’est-à-dire celui de son enfance, qui lui échappe totalement. En effet, il ne se souvient de rien et est confronté à l’amnésie concernant ses jeunes années. Pourtant, peu à peu, des souvenirs vont affleurer à sa mémoire, notamment ces mois de vacances passées dans le pays basque, à Guétary, lorsqu’avec son grand-père, il allait à la pêche aux crevettes. A partir de ce souvenir, Frédéric Beigbeder va tenter de reprendre le fil de sa vie d’enfant et d’adolescent en suivant l’ordre chronologique. C’est ainsi qu’il reprend son histoire en évoquant celle de ses grands-parents et celle de ses parents. Ces deux générations furent touchées par les deux grandes guerres mondiales qui ont marqué le XXème siècle. Lorsqu’il vient au monde, Frédéric Beigbeder doit composer avec ces traumatismes. Ces pages de retour sur lui-même permettent à l’écrivain d’évoquer les particulières relations qu’il a entretenues avec son frère Charles. Frère ennemi, - séducteur lorsque lui, Frédéric, peu sûr de lui, enchaine les déconvenues – mais aussi frère tant aimé, notre héros s’est construit à la fois en symbiose, mais aussi en opposition avec ce dernier. L’autre événement majeur qui aura marqué son enfance, c’est la séparation de ses parents sur laquelle il s’interroge : lui aussi a divorcé, lui aussi se demande à quel point sa fille va pâtir de cette séparation.

 

          Avec Un roman français, Frédéric Beigbeder souscrit à la mode de notre époque qui consiste à écrire son autobiographie. Le plus difficile en la matière, c’est donc de faire preuve d’originalité. Cependant, Un roman français semble vraiment faire la part belle au classicisme en la matière. La genèse du roman se situe précisément dans le temps : c’est lors d’une garde à vue qui a eu lieu le 28 janvier 2023, que Frédéric Beigbeder comme pour conjurer l’enfermement et l’absence de liberté qu’il doit subir, décide de laisser s’envoler son esprit vers le passé. Or, il se retrouve confronté au néant et se rend compte que la mémoire de sa jeunesse est absente ; il n’a en effet, plus aucun souvenir des années qui se sont déroulées entre sa naissance, en 1965, et le début des années 80. Que va-t-il pouvoir donc bien raconter ? Les efforts que notre auteur va fournir pour tenter de faire resurgir en lui le passé, cette recherche intérieure, constituent une partie de la matière du roman.  Considération marquée par l’égocentrisme s’il en est ! Car Frédéric Beigbeder s’apitoie sur son sort d’enfant de riche, issu en partie de l’aristocratie – à laquelle il semble très fier d’appartenir - grandissant dans la banlieue de Neuilly. Selon lui, ces origines bourgeoises expliquent l’amnésie qui le frappe : dans ce monde-là, il n’y a rien à raconter : les jours passent dans la grisaille et l’atonie.

          Alors, pour combler le vide, Frédéric Beigbeder se lance dans l’écriture d’un roman français, c’est-à-dire qu’il estime que l’histoire qu’il va raconter lui semble suffisamment patinée de l’esprit de la France pour que tout lecteur s’y retrouve. Il veut montrer les liens qui existent entre sa famille et la France. Pour ce faire, il raconte en partie l’histoire de ses aïeux, qui ont souffert pendant les deux premières guerres mondiales, en défendant à leur manière la France et l’esprit français. Puis, ce sont ses parents qui font l’objet du récit ; leur vie a été impactée par le traumatisme de l’après-guerre. Mais son existence à lui, l’enfant Frédéric Beigbeder, s’inscrit bien après, alors qu’il ne se passe plus rien de grave ou de tragique en France. Ainsi, chaque génération chez les Beigbeder est pétrie de l’âme française à une certaine époque.  

          Mais Frédéric Beigbeder s’accroche aussi à d’autres branches que celles de la grande Histoire afin de combler le vide de sa mémoire. Il s’intéresse à la petite histoire qui l’a marqué : il évoque les publicités des années 70, les chansons de l’époque. Ainsi, il se rallie au « roman français » qui est à la fois intime et universel. Je suis née dans les mêmes années que Beigbeder, et tout me revient de la même façon. Là se situe en partie le plaisir de lire Un roman français : il fait resurgir chez le lecteur ses propres souvenirs, pour peu que ce dernier soit un contemporain de l’auteur.

          Cependant, Un roman français aborde aussi des souvenirs plus particuliers, qui n’appartiennent qu’à l’auteur. L’image de son grand-père et des promenades qu’ils faisaient ensemble à Guétary, sur une page de la côte basque, resurgit plusieurs fois dans le roman. Ce dernier est aussi l’occasion pour Frédéric Beigbeder d’exprimer les sentiments ambigus et névralgiques qu’il éprouve pour son frère, Charles, le beau gosse à qui tout sourit. Dans Un roman français, l’auteur exprime son amour pour les siens, notamment pour son frère, malgré les heurts.   

          Ainsi, le temps d’Un roman français se déroule sur les années d’enfance et d’adolescence de l’auteur. Cependant, il se déroule aussi le temps d’une garde à vue et l’auteur ne se prive pas de faire des va-et-vient entre les deux époques. Dans les chapitres qui concernent la garde à vue, Frédéric Beigbeder pousse un coup de gueule contre les forces de l’ordre, la police et la justice françaises. Il cite même des noms – Jean-Claude Marin, par exemple – de dignitaires hauts-placés, ce qui a fait polémique et contraint l’auteur à retirer certains passages au moment de la publication.

          Ainsi, avec Un roman français, Frédéric Beigbeder signe une œuvre ambitieuse qui tente de mêler l’Histoire de la France avec son histoire individuelle. Le résultat est mitigé, ce qui n’est pas étonnant, vu l’autocentrisme de l’auteur qui peine à convaincre dès qu’il ne s’agit plus de lui. Un roman français, c’est vraiment un roman de Frédéric Beigbeder.   



19/02/2023
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