LECTURES VAGABONDES

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Grégoire Hervier : Scream test /A positive test.

                Il paraît que Grégoire Hervier est un fan de slashers ! Voilà un premier point commun entre moi et ce beau jeune écrivain ! En tout cas, on sent, dans Scream test, roman que Grégoire Hervier a fait paraître en 2006 aux éditions du Diable Vauvert, que ce dernier maîtrise plutôt bien les codes du genre !

                Le lieutenant Clara Redfield est chargée d’une bien difficile enquête. Six jeunes prétendants à l’émission de téléréalité « The good one » ont été enlevés et sont introuvables…. Mais néanmoins très visibles ! En effet, sur internet, une nouvelle émission de téléréalité intitulée « The last one » défraye la chronique : on y retrouve les six prétendants enlevés et enfermés dans un loft. Un à un, ils se nominent entre eux et le public choisit celui ou celle qui sera finalement éliminé. Sauf que… dans « the last one », celui ou celle qui sort du jeu est vraiment éliminé d’une balle dans la tête. Bien entendu, dans le loft, personne ne se doute de ce qui se prépare à la sortie de l’émission. Bien entendu, Stanley, Lloyd et Ed, les concepteurs du jeu, ont tout fait pour être introuvables et l’enquête patine… ce n’est que grâce à Heather, une participante au jeu, qui a l’intuition que ce qui se passe à l’extérieur n’est pas catholique, que les truands seront démasqués…

                Avec Scream Test, Grégoire Hervier nous entraîne dans l’univers impitoyable de la téléréalité dont il fait une satire acerbe. D’abord, il y a le casting ; le choix des candidats est important et correspond à des parts de marché ciblées. Ensuite, bien évidemment, ce concept d’émission n’est ancré dans la réalité que dans son appellation. Les six candidats font leur show afin de s’attirer la sympathie du public : toutes les situations filmées ne sont que bluff et cinéma. N’empêche que la plupart des candidats sont prêts à tout pour gagner le jeu et devenir une star y compris à se livrer à de la pornographie. Le scénario du roman pose la question : gagne-t-on réellement quelque chose lorsqu’on participe à une émission de téléréalité ? A quelle part de soi doit-on renoncer lorsqu’on se livre ainsi à tous les regards ? Les candidats ne sont-ils pas plutôt les victimes de tout ce faux-semblant ? Bien évidemment, le public n’est pas oublié : l’émission passionne l’Amérique entière et les appels sont démultipliés ! Les trois lascars qui ont monté le coup de l’émission « The last one » s’en mettent plein les poches. Le voyeurisme du spectateur est donc sérieusement épinglé par le roman. Cette obscène pulsion conduit le public à choisir celui qu’ils ont envie de voir mourir, en toute inconscience de la gravité du geste qui consiste à décrocher le téléphone pour appeler et donner le nom de la prochaine victime : après tout, un petit coup de fil n’a jamais tué quelqu’un, ça ne coûte pas cher… et puis, ce n’est que de la télé ! A-t-on vraiment toujours conscience que les images diffusées renvoient parfois à autre chose qu’à de la fiction ? Car si tout ce qui se passe dans le loft est bidon, la mort d’un participant à sa sortie est elle, bien réelle.

                Dans toute cette affaire, les journalistes et les chaines de télévision ont aussi leur part de responsabilité. Jennifer O’Brien pour Channel 6 News anime une émission sur l’émission « The last one ». Bien évidemment, l’honneur est sauf ! Il s’agit d’aider les familles des victimes, il s’agit d’aider la police dans son enquête ! Mais puisque le taux d’audience explose, on enchaine avec un sens du cynisme accompli les séquences « interview des familles », les portraits larmoyants des victimes, le retour au direct « que se passe-t-il dans le loft ? ». Le monde de l’information est de plus en plus friand de spectaculaire, d’émotion à tout prix, à n’importe quel prix… enfin, de tout ce qui peut générer de l’audimat. En l’occurrence, l’instinct voyeuriste de l’Homme est la chose la plus facile à entretenir pour atteindre ce but et les journalistes agissent comme de véritables charognards qui font leur beurre sur le malheur des autres. 

                Pour le reste, le roman Scream Test est de facture honnête, sans plus. En effet, l’enquête menée par Clara Redfield n’est pas très passionnante : il s’agit d’une traque sur internet qui patine un peu puisque Grégoire Hervier ne peut se lancer dans des détails techniques que le lecteur lambda ne comprendrait pas et qui, de toutes manières, seraient plutôt ennuyeux à lire. Alors, il use des ficelles classiques du remplissage stérile d’une intrigue qui patine : Clara – qui obtient peu de résultats - est déchargée de l’affaire qui est confiée à un autre qui patine tout autant, mais au moins, on bénéficie désormais de deux directions différentes ; Clara a une revanche à prendre dans la police, voilà pourquoi elle continue l’enquête de son côté : retour sur le passé de la pimpante lieutenante de police… enfin, toutes sortes de ficelles éculées qui permettent de raconter des trucs et des bidules pas trop ennuyeux… pendant ce temps, l’horloge tourne et l’enquête piétine. D’ailleurs, Grégoire Hervier ne sait pas trop comment se dépatouiller avec les deux enquêtes de ses flics et c’est finalement de l’intérieur du loft que viendra la solution ! Heather a tout compris, elle est terrifiée et réussit à communiquer avec son frère (qui regarde l’émission) dans un langage codé qui remonte au temps de leur enfance partagée. Ouaip ! Un peu tirée par les cheveux, la soluce !

                Au niveau du slasher pur et dur, je dirai que le scénario est bien trouvé, mais qu’il souffre d’un phénomène de répétition. Classique, me direz-vous pour un slasher dont le personnage principal est toujours un tueur fou ou sadique qui s’attaque à une bande d’ados en goguette dans la cambrousse : un à un, ils passent à la moulinette. N’empêche que certains slashers te tiennent scotché sur ton fauteuil pendant une heure et demi et qu’on n’a pas l’impression que c’est toujours le même scénario macabre qui se répète. Ce n’est pas le cas de Scream test qui ne parvient pas à nous tenir vraiment en haleine. Je crois que dans tout bon slasher, il faut que le spectateur s’attache un peu aux victimes, qu’il se sente concerné par leur sort. Or, ici, les personnages des victimes ne sont absolument pas fouillés : on ne connaît que leur nom. Ils ne sont d’ailleurs que des noms, pas vraiment des personnages, ce qui est peut-être voulu par Grégoire Hervier qui, je le rappelle, s’attaque aussi, dans Scream test à la téléréalité ! Et il faut bien dire que les héros de la téléréalité sont surtout des prénoms qu’on oublie très vite pour certains, un peu moins pour d’autres. L’inconvénient de ce parti-pris, c’est que le lecteur se fiche du fait que Tracy, Jamie, Chuck, Donna et Andrew meurent ! Un peu gênant pour un slasher… Et puis, bien sûr, dans tout bon slasher, il y a le tueur : on les aime bien glauques et bien tarés. Rien de tout ça, ici : Stanley et Lloyd sont loin d’être des psychopathes ! Ils ne pensent qu’à l’argent et ont monté l’affaire uniquement pour ramasser le pactole et partir se la couler douce sous les cocotiers. Reste Ed, le tueur. Il est certes un peu déjanté. Il aime le heavy metal et est fasciné par l’univers d’un tueur en série cannibale : petit clin d’œil aux tarés du silence des agneaux. Il tombe plus ou moins amoureux du cadavre de Jamie et le garde précieusement dans un congélateur : petit clin d’œil au plus célèbre et au plus génial slasher de tous les temps : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper ? Peut-être… même si Leather Face n’est sans doute pas aussi sentimental avec les cadavres qu’Ed ! En outre, notre tueur ne tronçonne pas les cadavres des autres candidats exécutés, mais il les dissout dans de l’acide.  Cependant, comme dans Massacre à la tronçonneuse, Scream test ne fait pas dans le gore, et c’est une chose que j’ai appréciée. La suggestion est toujours plus glaçante que la démonstration et les films d’horreur sanguinolents ne m’impressionnent pas. Je suis, par contre, stressée quand je regarde le célèbre massacre à la tronçonneuse ou encore le silence des agneaux, slashers dans lesquels on ne voit pas une seule goutte de sang ! Il faut savoir s’arrêter de filmer là où commence la boucherie, et l’horreur, c’est toi qui l’imagine. De la même manière, Grégoire Hervier a su gérer la narration de la mort de ses personnages en utilisant notamment le principe de la focalisation interne : le narrateur adopte le point de vue de celui qui va mourir alors qu’il s’attend à être applaudi par le public d’un plateau-télé. Bien plus efficace et glaçant que la description d’une cervelle qui explose !

                Mais malgré toutes les critiques que j’ai pu ici formuler à l’encontre de Scream test, je dois dire que j’ai plutôt apprécié cette lecture, car j’aime les romans satiriques même si la critique ici portée sur la téléréalité et les médias est assez convenue. Cela suffit à faire passer les insuffisances du slasher qui, de toutes manières, est un genre assez peu littéraire… Ainsi donc, le test-lecture pour Scream test de Grégoire Hervier est-il plutôt positif ! Je vous laisse ! Je suis impatiente de voir quelle donzelle The bachelor va éliminer ce soir d’un magistral coup de pistolet à eau !



04/03/2014
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