LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Gustave Flaubert : Bouvard et Pécuchet /Le petit théâtre de Flaubert.

 

                Lorsqu’ils sont bien imaginés et bien rodés, les duos masculins font mouche ! On pense à Laurel et Hardy, Bourvil et De Funès dans la grande vadrouille, plus récemment, Kad Mérad et Dany Boon dans Bienvenue chez les ch’tis ou encore Omar Sy et François Cluzet dans Intouchables… Cependant, cette idée du tandem comique basé sur l’opposition et la complémentarité des physiques et des caractères n’est pas nouvelle ! Au XIXème siècle, Gustave Flaubert a imaginé un roman à la fois comique et acide autour d’un couple de vieux garçons idéalistes : Bouvard et Pécuchet. Bouvard et Pécuchet, c’est aussi le titre éponyme du roman posthume de Flaubert paru en 1881.

                Bouvard et Pécuchet sont deux copistes qui travaillent à Paris. Lorsqu’ils se rencontrent, c’est aussitôt une grande amitié qui naît. Un jour, Bouvard reçoit en héritage une coquette somme d’argent qui permet l’achat d’un beau domaine à Chavignolles, dans le Calvados. Les deux vieux garçons s’adonnent alors à leur passion pour la connaissance. Ainsi étudient-ils l’agriculture, l’Histoire, l’archéologie, la chimie, la médecine, la philosophie, j’en passe, et des meilleures. A chaque fois, leur engouement pour leur objet d’étude les pousse à se documenter sur toutes les thèses parues sur le sujet, ce qui engendre des affrontements entre nos deux héros et… immanquablement, des catastrophes et le découragement qui les pousse à tout laisser tomber pour se consacrer à autre chose. Cependant, cette poursuite de la connaissance occasionne de nombreuses dépenses qui finissent par peser sur leur budget, mais aussi des brouilles avec leur entourage qui finit par les considérer comme des illuminés fort dangereux. Finalement totalement découragés et désabusés, Bouvard et Pécuchet décident de se remettre à « copier comme autrefois ».

                Avec Bouvard et Pécuchet, Flaubert a imaginé un tandem haut en couleur et comique : deux vieux garçons qui tout à la fois s’opposent et se complètent : Pécuchet est grand, maigre, ascète, plutôt idéaliste ; Bouvard est petit, rondouillard, plutôt jovial et rationnel. Cependant, nos deux héros sont aussi les meilleurs amis du monde au point de conjuguer leurs deux existences et leur passion pour la connaissance.

                Avec ces deux personnages, Flaubert se montre avant tout cruel, mais sur un fond de tendresse.

                Cruel, car il se moque des velléités intellectuelles de Bouvard et Pécuchet qui tournent immanquablement à la catastrophe. Par exemple, lorsqu’ils se piquent de sciences de l’éducation, nos deux héros décident d’appliquer leurs théories sur deux enfants plus ou moins abandonnés par leurs parents. Résultats ? Le garçon commet des vols dans les alentours, la fille s’abandonne au premier venu. Lorsqu’ils se prennent pour des agriculteurs, soit une tempête ravage la récolte, soit rien ne prend, soit tout pourrit sur pied. Et que dire de leur jardin d’agrément ?

                « C’était dans le crépuscule, quelque chose d’effrayant. Le rocher comme une montagne occupait le gazon, le tombeau faisait un cube au milieu des épinards, le pont vénitien, un accent circonflexe par-dessus les haricots – et la cabane, au-delà, une grande tache noire car ils avaient incendié son toit pour le rendre plus poétique. Les ifs en forme de cerfs ou de fauteuils se suivaient, jusqu’à l’arbre foudroyé, qui s’étendait transversalement de la charmille à la tonnelle, où des pommes d’amour pendaient comme des stalactites. Un tournesol, çà et là, étalait son disque jaune. La pagode chinoise peinte en rouge semblait un phare sur le vigneau. Les becs des paons, frappés par le soleil se renvoyaient des feux, et derrière la claire-voie, débarrassée de ses planches, la campagne toute plate terminait l’horizon. » 

                Bref, entre la théorie et la pratique, nos deux bonshommes s’emmêlent les pinceaux. 

                Toujours, lorsqu’il s’agit d’étudier, Bouvard et Pécuchet font preuve d’un engouement sans limite. Ils achètent pléthore de livres sur le sujet qui les occupent et se lancent dans de longs débats qui laissent pantois tant ils sont déconnectés de toute réalité. Bien évidemment, Flaubert fustige ici la bêtise de nos deux héros, pédants, grotesques, tout imprégnés d’un savoir mal digéré qu’ils assènent de manière très sérieuse, avec des airs de circonstance. Et c’est avec la même passion qu’ils défendent la science contre la religion, pour ensuite devenir, l’espace de quelques mois, de véritables grenouilles de bénitier.

                A travers eux, Flaubert se moque également des prétentions intellectuelles des spécialistes qui soutiennent une thèse sur tel ou tel sujet. Bouvard et Pécuchet se lit comme un véritable reader-digest de toutes les théories fumeuses pondues à droite et à gauche sur différents sujets. Un exemple ?

                « Corneille, suivant l’Académie française, n’entend rien au théâtre. Geoffroy dénigra Voltaire. Racine fut bafoué par Subligny. La Harpe rugissait au nom de Shakespeare ».

                Et c’est peut-être là la limite de ce roman de Flaubert. A trop vouloir présenter les diverses âneries proférées par tous ces érudits qui pinaillent ici et là tel ou tel adversaire, le lecteur est quelque peu saoulé. D’autant plus s’il n’y connait rien au domaine envisagé par les personnages. Ainsi, les diverses thèses sur les greffes des arbres fruitiers, les considérations philosophiques pondues par les uns et les autres, ont fini par m’ennuyer. Surtout que la plupart d’entre elles n’ont plus cours à notre époque ! Bref, si le fond est toujours vrai – pensons aux différentes théories sur les régimes alimentaires… qui finissent tous par faire pire que mieux ! C’est-à-dire, grossir – s’il y a du ridicule à toute cette érudition déconnectée des réalités, il faut dire que la forme adoptée par Flaubert – une sorte de catalogue qui défile dans les discussions ou les préoccupations des personnages - est parfois indigeste.

                Cependant, Bouvard et Pécuchet propose aussi une satire sociale assez virulente du monde provincial étroit et étriqué du XIXème siècle. Bien évidemment, nos deux héros s’attirent des ennemis, car dans un monde dirigé par l’esprit bourgeois bien terre à terre, leur idéalisme passe mal, est décrié, montré du doigt ! C’est ainsi qu’ils se fritent souvent avec le curé, mais aussi avec les bourgeois, ou Monsieur le Comte. Oui, au XIXème siècle, en Normandie, on prie Dieu, on compte ses sous, on fait fructifier ses biens, on n’aime pas ces deux originaux qui viennent semer la pagaille avec leur théorie sorties d’on ne sait où. Quant au peuple, il est abruti, ivrogne, livré à de bas-instincts de tous ordres. Bref, personne n’échappe à la plume acerbe de Flaubert !

                Personne ? Peut-être quand même un peu ses deux héros pour lesquels on sent parfois poindre de petits accès de tendresse. Dans un monde où les femmes sont décidément bien décevantes, trompeuses, vicieuses, l’amitié de ces deux vieux garçons a quelque chose d’attendrissant. Et puis, entre la bêtise bien terre à terre de l’esprit bourgeois et la bêtise des messieurs trop pédants, Flaubert laisse affleurer sa préférence. Quel malheur que ce monde où aucun idéalisme n’est plus permis !

                Enfin, le roman Bouvard et Pécuchet nous offre une réflexion sur la vacuité de l’existence. Nos deux héros remplissent leur vie avec du vide, des âneries, le premier sujet qui leur passe par la tête et qui sera sitôt abandonné après les premières déconvenues. Et puis, quel vide aussi faut-il ressentir pour s’occuper très sérieusement toute sa vie à la rédaction d’un pensum sur la stérilisation des petits pois ! Pour combler le vide de l’existence, on n’a rien trouvé de mieux que le verbe… des flots de paroles pour dire « j’existe et je le prouve en révolutionnant le monde des espèces de petits pois ». Et c’est avec beaucoup d’ironie que Flaubert termine son manuscrit (il s’agit en effet d’un roman inachevé dont la fin nous parvient sous forme de notes) en remettant ses deux personnages à leur première activité de copiste.

Après tout, copier, archiver, ça fait aussi bien passer le temps et ça ne prend pas la tête. Tiens ! Je vais peut-être penser à m’y consacrer, au lieu de pérorer sur tel ou tel bouquin qui m’a plu ou non, énervée ou enchantée…. A la manière d’un Bouvard ou d’un Pécuchet, selon l’humeur du jour… mmmmf !!!



04/02/2014
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