LECTURES VAGABONDES

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Jonathan Coe : Le cœur de l’Angleterre / Quand le cœur fait boum

 

   Quelle surprise de retrouver tous les héros de Bienvenue au club et du Cercle fermé pour un troisième opus aussi réjouissant que les autres. En réalité, l’auteur, Jonathan Coe, n’avait pas l’intention de poursuivre les aventures de Benjamin Trotter et consorts au-delà de Le cercle fermé. Il a bien fait de changer d’avis et de nous offrir cet extraordinaire roman : Le cœur de l’Angleterre, paru en France en 2019 aux éditions Gallimard.

 

          Nous sommes dans les années 2010. Désormais, Benjamin Trotter a 50 ans. Il continue à écrire le grand roman dont il a eu l’idée… lorsqu’il était étudiant plusieurs décennies plus tôt – l’affaire était en germination dans Bienvenue au club. Il vit seul dans un moulin qu’il a acheté, non loin de Birmingham, ville où demeure encore son père vieillissant et désormais veuf, Colin. Notre homme a gardé des relations avec Philip, un éditeur qui publie toutes sortes de livres pour une petite librairie anecdotique située dans une jardinerie. Ce dernier publiera la première mouture du roman de Benjamin. Autour de ce dernier gravitent bien d’autres personnages que nous connaissons déjà. Citons Sophie, sa nièce. Celle-ci est étudiante et prépare une thèse sur Alexandre Dumas-père. C’est lors d’un stage de sécurité routière qu’elle rencontre celui qui deviendra son mari : Ian. Cependant, très vite, le couple se disloque, notamment à cause des divergences politiques qui le tiraillent ; en effet, Sophie est une intellectuelle de gauche tandis que Ian vote à droite. L’agitation autour du Brexit aura raison de leur couple. Cependant, Sophie et Ian finiront par se réconcilier, et partir, à la fin du roman, au nord de l’Angleterre pour participer à l’Université que son ami, Sohan, a l’intention d’ouvrir avec son mari Mike. Quant à Benjamin, il finira par avoir du succès : son livre, Rose sans épine, est même sur la liste du Booker man prize ! Cependant, la mort de son père, Colin, le rapproche de sa sœur Lois, en pleine tourmente conjugale. Après sa rupture avec son époux Christopher, frère et sœur décident de se poser en Provence où ils ont le projet d’ouvrir une maison d’hôtes.

 

          Avec Le cœur de l’Angleterre, Jonathan Coe nous offre une magnifique – et inattendue - troisième partie des aventures de Benjamin Trotter et clôt en beauté la trilogie initiée par Bienvenue au club – auquel avait succédé Le cercle fermé. En effet, Le cœur de l’Angleterre s’avère être un roman dense et profond.

          On retrouve donc avec plaisir les protagonistes de Bienvenue au club et du Cercle fermé et le résumé que je propose plus haut du Cœur de l’Angleterre ne fait pas le tour de l’œuvre, loin s’en faut.

          Ainsi, à côté de Benjamin Trotter, on retrouve, par exemple, Doug Anderton, le journaliste introduit dans les milieux politiques et ceux du pouvoir en place. Divorcé, il rencontre des difficultés avec sa fille Coriandre, enfant gâtée qui, même si elle est une gosse de riche, se veut rebelle qui épouse toutes les causes à la mode du moment, notamment celles des revendications communautaristes LGBTQ.  

            On retrouve également Philip Chase, devenu éditeur de seconde zone qui donne dans les livres de jardinage et de recettes de cuisine, et autres collections à destination des jardineries sises dans les banlieues d’Angleterre.  

             De manière fugace, on reprend également contact avec Ronald Culpepper, militant d’extrême droite à la tête d’Imperium, un think tank qui agite les milieux politiques en faveur du Brexit.

          De manière générale, le roman plonge le lecteur dans l’Angleterre des années 2010-2020 en plein milieu des grands événements qui ont marqué cette décennie : les émeutes racistes et populaires qui ont mis le pays à feu et à sang pendant plusieurs jours ; les JO de Londres auxquels tous assistent avec des sensibilités différentes (mais ce qui intéresse nos personnages, c’est surtout la cérémonie d’ouverture qui exalte l’âme de l’Angleterre (et donc la fibre nationaliste de chacun), et non pas le sport en lui-même dont tout le monde se fiche plus ou moins. Et bien sûr, il y a le Brexit, pendant noir de la cérémonie d’ouverture des JO de Londres, car le « non » à l’Europe s’explique avant tout par le racisme nettement affiché par l’Angleterre : l’Europe a des frontières trop ouvertes et laisse passer trop d’immigrés.

          Ainsi, Jonathan Coe développe une vision noire et désabusée de l’Angleterre, ce pays dont il est originaire et qu’il aime tant. Cependant, désormais, il a du mal à se retrouver dans ce pays qui se fourvoie dans de nouvelles tendances, tendances qui ne correspondent pas à son esprit fondamental. Il s’en prend violemment à l’émergence d’un sentiment nationalisme malsain et raciste, sentiment qui, je viens de le dire, a conditionné le Brexit. Et d’ailleurs, la force de cette volonté de désengagement de l’Angleterre vis-à-vis de l’Europe a fissuré les couples du roman, notamment celui de Sophie et de Ian, personnages en opposition idéologique. A la fin du roman, les principaux personnages quittent le cœur de cette Angleterre qu’ils ne reconnaissent plus et dans lequel ils n'éprouvent plus que du malaise. C’est ainsi que Benjamin et sa sœur Lois s’installent dans le sud de la France, ennemi héréditaire de l’Angleterre et l’un des acteurs principaux de l’Europe. Désormais, la rupture avec leur pays d’origine est consommée.

          En outre, le roman se fait aussi caisse de résonnance des revendications sociétales qui émergent dans les années 2010 notamment le mariage gay et la normalisation de la transsexualité. Même si Jonathan Coe donne la parole à des couples gays, à un personnage transsexuel, et qu’il défend ces nouvelles libertés accordées, il dénonce cependant la dictature du politiquement correct, et l’hégémonie des idéologies woke et LGBT.

          Enfin, Le cœur de l’Angleterre, c’est aussi un roman très émouvant. Désormais, nos personnages ont la conscience du temps qui passe et qui ne revient pas. Leur jeunesse est loin, désormais, et ils peinent à se retrouver dans le monde qui se profile dorénavant. Bienvenue au club des nostalgiques et des partisans du « c’était mieux avant » !  

          Ainsi, le roman se termine sur la sensation qu’il n’y aura pas de suite à cette sorte de requiem à la fois mélancolique et drolatique (car bourré de l’ironie dont Coe a l’art et la manière) consacré à un certain esprit anglais et à une certaine Angleterre qui sont tous deux en passe de disparaitre. Mais sait-on jamais avec Jonathan Coe !



11/06/2023
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