LECTURES VAGABONDES

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Louis Lanher : un pur roman : un peu de pur pour beaucoup d’impur.


Voici un roman bien inégal, que ce pur roman écrit par Louis Lanher et paru en 2004 aux éditions du diable vauvert. Dans ce livre, le meilleur  côtoie bien souvent le pire !

Jean-Guy, Ben et Virgil vivent dans un grand loft parisien. Le premier est expert-comptable et travaille dur pour gagner sa vie, tandis que les deux autres sont créas à la télévision : leur métier est d'imaginer les concepts de nouvelles émissions grand public. En fait de travail, nos deux compères passent surtout leur temps à sauter des filles de moins de vingt ans, à sniffer des lignes de coke, à se saouler au gin-to dans les Lounges fréquentés par Ariel Fishman, Edouardo di Ballard, Thierry Hard, et autres célébrités télévisuelles.

Ce roman serait-il donc une satire du monde de la télé (avec des noms à peine déguisés pour faire plus vrai et plus marrant !) dans le style de ce qu'a fait Frédéric Beigbeder pour le monde de la pub dans son 99 francs ?

Je n'en suis pas convaincue : il faut voir nos deux créas à l'œuvre : ils balancent pêle-mêle tout ce qui leur passe par la tête, dans un immense brain-storming de l'idée la plus déjantée pour finalement aboutir à la création d'une émission pourrie qui durera trois jours à l'antenne : « sugar baby sugar et…pan ».

Est-ce vraiment ainsi que les choses se passent dans les sociétés de production télévisuelles ? Est-ce vraiment le délire le plus total qui gouverne les équipes qui travaillent sur des concepts d'émissions ? (même faire de la daube télévisuelle demande du travail et du professionnalisme, il me semble !)

Je pense que ce roman propose surtout une satire des parasites qui gravitent dans le show-biz : tous ces fils à papa, casés dès leur naissance dans le milieu, qui n'ont pas vraiment besoin de travailler pour vivre et surtout pas d'avoir du talent !

C'est là que ce pur roman nous offre ses meilleures pages : même si elles sont un peu caricaturales, il n'empêche qu'il y a du vrai dans la vision tripartite de la société que propose Lanher.


Première catégorie : le tiers-état :


La première catégorie, le tiers état, sera laborieuse dans des métiers pas propres. Elle gagnera parfois presque bien sa vie, mais la dépensera dans des trucs de masse, des voitures avec ailerons, des gourmettes, des costumes de couleur, des chemisettes à manches courtes pour travailler, des toiles à fleurs pour la salle à manger, des nains de jardin, des gros chiens pas beaux, et déjeunera au Bistrot Romain ou au Buffalo Grill. Sauf le dimanche, où elle se fera un bon resto de raclette sur le parking du centre commercial. Elle s'habillera chez Prisunic, Leader Price, Tati, sauf le samedi, où elle s'accordera une folie chez C&A. Elle votera centre gauche ou très à droite. A la télé, elle regardera Vivement dimanche le dimanche et C'est mon choix le reste de la semaine. Elle préférera Greg le millionnaire au Bachelor, Loft story à Nice people, Confessions intimes à Strip-tease, Les enfants de la télé à Arrêt sur image, Combien ça coûte à Capital, la méthode Cauët à Tout le monde est Hard et attendra avec impatience le prochain épisode de la Star Ac. Elle épousera des filles pas belles mais gentilles, avec de gros pulls à motifs (…)


Deuxième catégorie : les simples bo-bos.


La deuxième catégorie, les simples bo-bos, sera aussi laborieuse que la première, mais s'épanouira dans des métiers propres expert-comptable, banquier, avocat, médecin, en un mot EXPERT-COMPTABLE. Elle gagnera souvent bien sa vie, parfois même très bien, mais la dépensera dans des trucs chiants, des séjours linguistiques, des enfants, des voitures 4X4, encore des enfants, des aumônes pour aider à refaire le toit de l'église ou de la synagogue, des petits chiens mignons, et déjeunera au Coffee Parisien et chez Livio (….)


 
Troisième catégorie : les bourgeois supérieurs.


 Cette troisième catégorie, les bourgeois supérieurs, ne sera pas laborieuse, contrairement aux deux autres et exercera des métiers propres : métiers artistiques dans toutes les disciplines (elle sera comédienne, cinéaste, écrivain, peintre, sculptrice, photographe, dessinatrice, musicienne, poète et souvent un peu tout ça à la fois) ou para-artistique dans toutes les disciplines de la communication (elle sera journaliste, publicitaire, attachée de presse, agent d'artistes, mécène, productrice-audiovisuelle- -graphique-littéraire-musicale, réalisatrice-audiovisuelle-graphique-littéraire-musicale), et sera génétiquement pourvue de ressources financières substantielles, qu'elle complétera par un statut d'intermittent du spectacle et qu'elle dépensera dans des trucs rigolos : séjours à thème à Goa ou en Jamaïque ? mini Cooper S, alcools à bulles millésimés, suites d'hôtel avec jacuzzi vibrant, merci la Villa Royale, petites filles à grosse bouche et petites fesses bien fermes, et encore de l'alcool, même sans bulles. (…)


Il faut également savoir que Lanher, avant de devenir écrivain, était un avocat dépressif : en ce sens, le portrait de Jean-Guy, l'expert-comptable, me paraît extrêmement bien réussi…Ça renifle le vécu, ces pages-là ont des accents de vérité. 


Jean-Guy s'est battu pendant six ans pour décrocher un beau diplôme. Six ans à enchaîner les cours de macro-économie appliquée au marché concurrentiel et les stages en décorticage de bilans comptables. Six ans à écrire des lettres de motivation sans motivation, à sourire sans envie, à choisir des cravates sans goût, à enfiler des costumes sans couleur, à refuser des ecstas en rave sauvage pour assurer ses lendemains avec des contrôleurs de gestion, commissaires aux comptes et autres professionnels de l'ennui. La récompense, c'est ça, une vie active à reculons, que Jean-Guy s'enfile au rythme des cachets de Lexomil, des amas de minutes planté devant un ordinateur scotché à un bureau de neuf mètres carrés, à trois cent mille kilomètres de la première plage de sable fin, à des années-lumière des premières respirations jouissantes de vraies jeunes filles tendres et fragiles. Jean-Guy ne connaît pas la petite mort. Juste la grande. Définitive et professionnelle. En intégrant sa vie d'expert-comptable, Jean-Guy s'est coupé de la vie.


Pour le reste, le roman joue sur la facilité de l'écrit-parlé, dans l'ensemble, et c'est assez lassant. Quant à l'humour de Lanher, il n'est pas toujours du meilleur goût.

Ses personnages de créas sont volontairement croqués de manière superficielle : quand l'agent coule à flots, il n'y a plus de repères moraux et c'est la fuite en avant dans la fiesta perpétuelle. A ce titre également, le roman devient vite lassant, à la manière de ceux de Bret Easton Ellis qui a cependant sur lui cette supériorité de l'avoir précédé dans le genre et sans doute également, d'avoir mieux maîtrisé le sujet de « ces pauvres gens qui vivent dans le luxe » : ce vide inter-sidéral dans lequel s'enfoncent ceux qui ont tout sans rien faire, lorsque la décadence, la superficialité, la perte de tout repère sont finalement le maître mot d'une vie sans même que les intéressés s'en rendent compte.

Il est vrai également que Pur Roman n'a pas le côté sombre et inquiétant d'American Psycho ! Très vite, les scènes se succèdent de manière décousues et délirantes… un délire cependant gratuit, sans gravité et donc sans intérêt… bien vite ennuyeux.

Peut-être certains crieront-ils au pur génie ? Les situations totalement absurdes qui se glissent progressivement dans le roman ne sont-elles pas une manière de mettre en exergue l'absurdité des vies de nos deux héros ? Peut-être…Mais raconter n'importe quoi, c'est aussi peut-être sombrer dans la facilité en essayant de cacher  qu'on est totalement à court d'inspiration ! 

 

 



18/05/2009
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