LECTURES VAGABONDES

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Marie Ndiaye : Papa doit manger.


Voici une pièce totalement déroutante et qui fait fi des règles du théâtre que Papa doit manger, pièce écrite par Marie Ndiaye en 2003 et parue aux éditions de Minuit.

Papa revient au bercail, à Courbevoie. Il dit être riche et entend bien retrouver sa place au sein de sa famille : sa femme, Maman, et ses deux filles Mina et Ami. Il a en effet quitté les siens voilà plus de 10 ans pour faire fortune. Cependant, Maman vit désormais avec Zelner, un professeur de Français qui n'entend pas laisser sa place ainsi… Elle a donc refait sa vie. Mais Papa est là, sa peau resplendit de noirceur. La seconde scène laisse découvrir le pot aux roses. Papa n'a jamais quitté Courbevoie : il vit avec Anna, dans un taudis, avec Bébé, son fils. Il espère bien tirer de son épouse quelques deniers. D'ailleurs, Maman n'est-elle pas encore amoureuse de Papa ? Cependant, les tantes Clémence et José parviennent à la dissuader de retourner avec le « nègre ». Ce n'est qu'à la fin, après la mort de Zelner, que Maman retrouvera Papa. Un papa à la peau désormais grise.

Je dois bien avouer que je me demande où Marie Ndiaye a voulu en venir avec cette pièce, même si je l'ai trouvée très plaisante à lire.

D'abord, elle défie les lois du théâtre : la pièce démarre avec le retour de Papa et les désagréments que cette nouvelle provoque dans la vie de tous. A la fin, une ellipse de plusieurs dizaines d'années nous amène à la fin de la vie des personnages pour un dénouement sans doute naturel, mais encore est-on au théâtre, et on attendait un dénouement par rapport à une situation donnée au départ. Pourquoi n'est-on pas parti de la naissance des personnages, tant qu'on y était ?

En ce qui concerne le découpage de la pièce, point d'actes, mais de longues scènes où les personnages discutent… Il n'y a pas de quiproquos, pas de déplacement sur scène… Seule une longue suite de dialogues. Heureusement, la pièce est courte, car on imagine assez la douleur du spectateur obligé d'assister pendant deux heures aux lentes déclamations des acteurs. Oui, on a affaire ici à une pièce très statique. Certes, il y a une marque de fabrique très africaine dans ces sortes de mélopées bien cadencées, assez emphatiques, et basées sur un rythme répétitif peu à peu hypnotique. C'est là, surtout ce qui m'a plu, ce qui fait qu'on est face à un théâtre assez inhabituel.

Reste à comprendre le message que Marie Ndiaye a voulu faire passer avec cette pièce… Aucun, peut-être… Elle ne prend certes pas parti pour l'africain Papa qui délaisse sa femme, la trompe et espère en tirer encore profit. Derrière ce personnage, il y a la haine du noir pour la race blanche, pour cette race qui domine et qu'il veut dominer comme par revanche. Face à lui, il y a Maman, la blanche : chez elle aussi, il y a de la rancœur. Maman a sacrifié ses ambitions pour Papa : elle n'est que coiffeuse. Elle qui a toujours rêvé de devenir patronne, est restée seule avec ses deux filles à élever. Doit-elle encore remettre en cause pour Papa sa nouvelle existence tranquille et respectable avec Zelner ? L'un comme l'autre sont victimes du racisme de la famille blanche, racisme incarné par les personnages de tante José et de tante Clémence qui voient d'un très mauvais œil le retour de Papa. Quant à Zelner, il a peu d'envergure. Il offre la stabilité à toute la famille délaissée de Papa. Pas grand-chose d'autre. En tout cas, pas l'amour.

L'amour, il ne triomphe guère dans cette pièce où les êtres sont peut-être trop rongés par la rancœur. Ce n'est qu'à la fin que les premiers mots d'amour sont dits entre papa et maman… mais encore est-il bien tard ! Ils sont vieux, Zelner est mort… quant à Ami, l'une des deux filles de Papa et de Maman, elle se drogue.

Je pense que finalement, cette pièce témoigne surtout de la difficulté de bâtir un couple mixte dans une société où le racisme est aussi bien du côté des noirs que du côté des blancs… Cependant, le plus beau personnage de la pièce, c'est celui de maman… Un personnage de femme blanche, toute en sacrifice et en humilité : cependant, si tel est le message, je dois avouer que je le trouve un peu faiblard et évident.

Bref, voici une pièce déroutante et inhabituelle, qu'on lit sans déplaisir… mais encore est-elle loin d'être profondément marquante, par faute d'un message clairement affirmé. Je crois que c'est pourtant ce qu'on attend d'une pièce qui met en jeu les conflits raciaux. Pour le reste, peut-être le roman est-il une forme plus adéquate à cet ensemble qui manque de force, à mon avis, au théâtre, car il en occulte trop les lois.



05/06/2010
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