LECTURES VAGABONDES

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Maxence Van Der Meersch : Quand les sirènes se taisent/ Echo zolien

             

    Avis à tous ceux qui aiment Germinal de Zola ! Voici un écrivain sans doute moins connu que l’oncle Emile, mais qui s’inscrit dans cette veine héritée du XIXème siècle : le naturalisme. Maxence Van Der Meersch reprend, comme a pu le faire son illustre prédécesseur, le thème de la grève ouvrière, ici dans les usines textiles de Roubaix, dans les années 30, et nous offre un roman intitulé Quand les sirènes se taisent, paru en 1933.

 

            Nous sommes dans le Nord de la France, dans les villes industrieuses de Roubaix et de Tourcoing. La grève générale a été votée par les ouvriers parce qu’on a décidé de prélever 5% de leur salaire pour l’assurance-maladie. Or, ces derniers demandent à ce que ce soient les patrons qui payent ou que leurs salaires soient revus à la hausse. A l’histoire de la grève qui oppose les gardes mobiles qui doivent assurer la sécurité de ceux qui veulent travailler - notamment des flamands venus de Belgique – s’opposent les grévistes, violents, qui s’en prennent à ceux qui veulent travailler. Nous allons suivre plusieurs familles ou individus qui résident dans la courée des Malcontents située rue des Longues-Haies. Il  y a d’abord Laure, enceinte des œuvres de Jacques, un ouvrier déjà marié et père d’une petite fille. Lorsque Laure apprend la chose, elle renvoie son amoureux auprès de sa famille, sans rien lui dire de son état. Fernande, la mère de Laure, chasse sa fille de sa maison. Cette dernière, seule désormais, réussira à survivre en ramassant des déchets, en squattant un logis désaffecté. Entre temps, Jacques est laissé pour mort dans une échauffourée entre des grévistes et un autocar chargé d’acheminer des ouvriers non-grévistes aux usines. Cependant, alors que Laure a accouché d’un fils, voici Jacques qui réapparait au seuil de son pauvre logis, un pansement sur la tête. Autre destin, celui de Reine, Richard et Pierre. Richard est garde mobile et a pris sous son aile protectrice Reine qui continue de travailler. Un jour, ils rencontrent Pierre, affamé et en bien piteux état, et lui viennent en aide. Peu à peu, Reine et Pierre tombent amoureux, au grand dam de Richard qui, amoureux, lui aussi, de Reine, décide de repartir vers son Languedoc natal. Nous suivons aussi le patron Jean Denoots, acculé par la grève et qui ne trouve d’aide nulle part, et surtout pas celle de la FGT qui ne veut rien céder aux ouvriers. Contre l’avis de la FGT, il décide de payer les 5% et espère ainsi que certains ouvriers seront d’accord pour reprendre le travail. Il sera tué, emporté par une manifestation violente. Et puis, voici un enfant des rues, abandonné par ses parents, Popol, que Jacques a pris en affection, et qui sera tué d’un coup de sabot de cheval, lors d’une altercation entre des ouvriers et des gardes mobiles. Et encore, voilà le vieux Fidèle, molesté par des grévistes parce qu’il continue à travailler. Des destins malmenés par la grève, il y en a d’autres. Mais finalement, les sirènes se font de nouveau entendre ; la grève est terminée ; les ouvriers reprennent le travail. Cependant, rien n’a été obtenu et la promesse de revoir plus tard les revendications des ouvriers aurait pu être signée bien plus tôt. Résultat : beaucoup de souffrance pour pas grand-chose.

 

          Avec Quand les sirènes se taisent, Maxence Van Der Meersch signe une œuvre poignante. Elle présente une multitude de destins qui se croisent et souffrent ensemble de la grève. Au terme de celle-ci, il y aura eu des morts pour rien, notamment celle du petit Popol, un enfant abandonné qui vit plus ou moins au café «Chez Vouters» où se retrouvent les grévistes et auquel Jacques donne un peu d’amour ; il y aura eu également un accroissement de la misère noire : beaucoup cherchent à se lancer dans une activité annexe pour gagner un peu d’argent destiné à survivre au quotidien : Gervais, le marchand de poisson, n’arrive plus à vendre sa marchandise que plus personne ne peut se payer ; alors, il va travailler à Steenvoorde, près de Cassel pour un cultivateur. A son retour, il trouve sa femme Mathilde au lit avec Pozzo. L’affaire se terminera par le pardon. Plus tragique est le cas de Pierre, qui vit dans une extrême pauvreté. Il est pourtant un homme cultivé, qu’on surnomme l’instituteur, et qui parce qu’il a affiché des opinions antimilitaristes, est mis à la porte et crève de faim.

       Et puis la grève et la misère engendrent la délinquance. Le petit Tuné, frère de Reine, se livre à des vols et des larcins. Il vole tout et n’importe quoi. Il est, par ailleurs, exploité par le Berloux qui l’envoie coller des affiches syndicales et taguer les murs des logements des ouvriers qui veulent travailler.

          Ce que j’apprécie aussi lorsque je lis un roman de Van Der Meersch, c’est que j’y retrouve un peu de Zola. Ici, la ressemblance est frappante. Mis à part le fait que Van Der Meersch reprend le thème de la grève générale – qui est aussi celui de Germinal – certaines scènes sont directement inspirées du chef d’œuvre de Zola sur le monde de la mine. L’exemple le plus flagrant, c’est la scène de la manifestation des grévistes dans la rue, encadrée par les gardes mobiles ; on pense aussitôt à la célèbre marche des mineurs en grève dans Germinal : « c’était la vision rouge de la révolution ». Certes, ce n’est sans doute pas la plus grande page de Van Der Meersch ; l’écriture est davantage plate et n’a pas le souffle épique de celle de Zola. 

  Cependant, Maxence Van Der Meersch, contrairement à Zola, ne défend pas la grève : il est contre ce procédé violent qui ruine l’économie et les individus. D’ailleurs, le roman se termine sur l’échec de la grève qui aura mené au désespoir plus d’un. Elle n’apportera rien à personne. Par ailleurs, l’auteur montre aussi la corruption qui existe au sein du syndicat des grévistes et du parti communiste : ceux qui ont un poste un peu en vue au sein de l’un ou de l’autre sont protégés et ont du pouvoir dont ils usent : le Berloux ou Honoré Demasure touchent des fonds secrets  et passent leur temps au bistrot «Chez Vouters» à se saouler d’alcool et de paroles.

         Pourtant Maxence Van Der Meersch a beaucoup de compassion pour les hommes miséreux et fait appel à l’humanité de chacun. Ainsi, même si la grève fut une mauvaise chose qui n’a rien apporté, l’auteur termine son roman sur une note d’espoir en l’homme. D’abord, il y a l’enfant de Laure qui nait ; son père, Jacques, se trouve sur le seuil de la maison improvisée de Laure. C’est la naissance d’une famille heureuse. Nous quittons également ce petit coin du Nord avec le départ de Richard – il retourne dans son sud natal. Mais avant de s’en aller, il pardonne à Pierre ; en effet, Richard est venu en aide à Pierre lorsqu’il était à la rue, affamé. N’empêche que ce dernier l’a blessé au cours d’une altercation entre grévistes et gardes mobiles. Et puis, c’est lui que Reine a choisi… 

        Ainsi, Quand les sirènes se taisent est un beau roman, douloureux et juste qu’on partage ou non les opinions politiques de Maxence Van Der Meersch. Il mélange adroitement des figures nobles et fières issues des gens du Nord et restitue parfaitement l’ambiance des villes ouvrières nordistes. C’est aussi un roman plein d’humanité et de compassion, qui, grâce à sa petite dose de mélodrame, nous touche droit au cœur.



08/04/2024
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