LECTURES VAGABONDES

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Pascal Lainé : La presque reine/ Une reine intégrale

   

      Presque un roman épistolaire, presque un roman, presque un précis d’Histoire… difficile de classer cette œuvre de Pascal Lainé intitulée La presque reine. L’auteur s’intéresse ici aux fastes années de Jeanne du Barry, maîtresse de Louis XV. Ce livre paraît en 2003 aux éditions de Fallois.

 

          Jeanne du Barry s’appelle Mlle Vaubernier ou plus simplement Ange, lorsqu’elle entre dans le monde par la petite porte. C’est en effet Jean du Barry, son amant et proxénète, qui la fait entrer dans le beau monde. Richelieu compte aussi parmi ceux qui introduiront Jeanne auprès du roi. C’est donc en 1768 que Jeanne est présentée au roi et que presque aussitôt, elle devient sa maîtresse. Certes, elle doit compter avec des ennemis importants : le ministre Choiseul, ou encore la dauphine Marie-Antoinette. Pourtant, elle finira par avoir raison de ses ennemis, notamment lorsque Choiseul est remercié par le roi. Cependant, ce dernier n’est plus guère vaillant et contracte la variole en 1774 et meurt de cette maladie – également appelée la petite vérole. Aussitôt Jeanne est remerciée et doit se rendre au château du Rueil que possèdent ses amis le duc et la duchesse d’Aiguillon. Ensuite, elle devra s’en aller au couvent du Pont-aux-dames où son tempérament sensuel s’assagit. Plus tard, elle s’installera dans le domaine de Louveciennes, domaine que le roi Louis XV lui a légué. Elle devient l’amante de M. de Brissac et s’amourache aussi de son voisin, Lord Seymour. Lorsqu’éclate la révolution de 1789, elle sera inquiétée. Elle s’insurge notamment à cause du vol commis à son encontre – des diamants lui ont été dérobés – et cette affaire l’emmène en Angleterre où elle entame un procès. Cependant, comme on le sait, la révolution n’est pas tendre avec ceux qui ont fait fortune grâce à la monomachie. D’anciens serviteurs lui en veulent, notamment Greive, Salanave et Zamor. Jeanne sera arrêtée sous la terreur et condamnée à mort ; sa tête tombe dans la nuit du 8 au 9 décembre 1793.

 

          Avec La presque reine, Pascal Lainé signe un roman intéressant et pédagogique. Qui connait la vie de la dernière maîtresse de Louis XV ? On sait tout au plus qu’elle s’appelait Jeanne du Barry. Elle est totalement éclipsée par celle qui l’a devancée : la marquise de Pompadour. En lisant La presque reine, l’injustice qui existe à l’encontre de Jeanne du Barry est effacée ; personne ne pourra plus dire : « je ne la connais pas », tant il est vrai que Pascal Lainé signe ici une œuvre qui marque les esprits.

          Le roman – appelons La presque reine ainsi – est construit selon différents genres qui s’associent pour former un portrait en relief de Jeanne du Barry. On y trouve des lettres – ou extraits de lettres – des extraits de mémoires, de journaux, des billets divers… mais aussi des commentaires personnels de l’auteur qui donne son avis sur Jeanne et les personnages d’époque, et fait également la transition entre les différents moments de la vie de l’héroïne. Nombreux sont les personnages qui attirent l’attention du lecteur et l’émeuvent ou l’énervent. On s’attachera particulièrement au bibliothécaire de la comtesse, Louis-Félicien Desfontaines, myope et amoureux de la comtesse. Il entame une liaison avec Chon, la sœur de Jeanne… amour aveugle – Chon est laide – et par procuration – faute d’avoir l’original, on se contente d’une proche.

          L’intérêt de La presque reine réside aussi dans les réflexions que Pascal Lainé égrène au fil de ses commentaires. D’abord, on y trouve une réflexion sur la transition entre le monde ancien et le monde nouveau. Le monde ancien, c’est évidemment celui de la monarchie et de l’ancien régime. Jeanne y a participé et elle était alors aux premières loges pendant quelques années ; les dernières du roi Louis XV. Elle fut courtisane et maîtresse du roi. Le monde nouveau, c’est celui des bourgeois qui vont s’emparer du pouvoir pendant la révolution française de 1789. Les amours de Jeanne et de M. de Brissac, plutôt tièdes, sont, selon Pascal Lainé, emblématiques du puritanisme bourgeois qui est en train d’advenir, et tranchent avec la passion et la sensualité dont notre courtisane a su faire preuve sous le règne de Louis XV.

          Non moins dénuées d’intérêt sont les réflexions de Pascal Lainé sur des aspects intouchables de notre histoire. En effet, notre auteur pourfend la révolution de 1789. Elle est sanguinaire et permet à des vauriens de s’enrichir en pillant les biens de l’aristocratie déchue. Plus étonnant, il pourfend également les philosophes des lumières : Voltaire est, selon lui, certes, un maître du langage mais un bien piètre penseur qui réduit à peau de chagrin les grandes idées issues de Descartes entre autres.  Par ailleurs, l’Angleterre, que tout le monde encense pour son système démocratique avant l’heure, est vivement critiquée par Pascal Lainé qui voit en la monarchie absolue française un système moins corrompu et plus égalitaire que le parlementarisme anglais.  

          Ainsi, La presque reine de Pascal Lainé est une œuvre intéressante qui interpelle le lecteur car elle remet en cause des idées reçues depuis bien longtemps et considérées comme immuables (par exemple, le génie intouchable de la révolution française). Le but principal de La presque reine, c’est de proposer un portrait saisissant de Jeanne du Barry, figure transitoire de la fin du siècle des lumières. Libertine, cette femme née du peuple, prostituée - devenue maîtresse du roi pour un temps et généreuse pour toujours - va finir injustement sur l’échafaud.  Ainsi, la presque reine est-elle aussi une presque sans-culotte…. Dommage pour une femme qui a tant aimé se balader sans culotte devant les hommes - grands ou petits – du royaume de France !



29/10/2023
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