LECTURES VAGABONDES

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Patricia Highsmith : Le talentueux Mr Ripley / Talentueux !

     

         On connait tous le chef d’œuvre de René Clément intitulé Plein soleil où Alain Delon révèle toute sa beauté et son cynisme. Mais le roman d’où est tiré de film est également en passe de devenir un classique du thriller psychologique. Ce roman a pour titre Le talentueux Mr Ripley et c’est Patricia Highsmith qui l’a écrit en 1955.

 

          Tom Ripley est un aventurier un tantinet escroc qui vit à New York, en collocation. Un jour, Herbert Greenleaf l’aborde : il souhaite que Tom, qui connait leur fils Richard qui vit près de Naples, à Mongibello, rentre au pays afin de travailler dans les chantiers Burke-Greenleaf, l’entreprise familiale. Pour cela, Tom sera payé.  Le jeune homme accepte et quitte New York, via le bateau puis le train. A Mongibello, il rencontre Richard, un peintre qui fréquente une jeune écrivaine, Marge. Au départ un peu tendues, les relations entre les deux jeunes hommes deviennent assez vite amicales, avant de se refroidir à nouveau. Tom pense que la responsable de ce revirement, c’est Marge qui le prend pour un inverti, et de ce fait, elle a confié ses soupçons à Richard. C’est la raison pour laquelle Richard a commencé à mépriser Tom, à le trouver sans grand intérêt. Mais cela n’empêche pas les deux hommes de partir pour un voyage de quelques jours à San Remo, à Paris, et sur la côte d’azur. A San Remo, les deux amis louent un canot pour aller faire une virée en mer. Alors qu’ils voguent en pleine mer, Tom, qui ne supporte plus de se sentir jugé et méprisé par Richard, le tue en le frappant avec l’aviron puis il décide de se faire passer pour cet ami qu’il vient de tuer. C’est ainsi qu’il rentre à Mongibello ; le temps de plier bagage, de raconter à Marge que Richard veut faire un break, seul, et qu’il s’installe jusqu’à nouvel ordre à Rome, et que lui, Tom, est chargé de régler la vente de ses biens à Mongibello. Au début, tout marche comme sur les roulettes : Tom est installé à Rome, il a endossé avec succès le costume de Richard et écrit à ses parents, à Marge pour leur donner de ses nouvelles. Mais un jour, alors que Tom songe à quitter Rome, il reçoit la visite de Freddie, un ami de Richard qui s’inquiète du silence de ce dernier et qui a réussi à trouver son adresse à Rome. Pris dans l’engrenage du mensonge – Freddie peut constater de ses yeux que ce n’est pas son ami qui habite l’appartement romain – Tom tue ce fâcheux et parvient à exfiltrer le cadavre de nuit. Dès le lendemain matin, après la découverte du cadavre de Freddie, la police se rend à chez Tom-Richard, bouleversant ainsi les projets de ce dernier qui voudrait bien quitter Rome mais qui ne le peut plus pour l’instant : il est le dernier à avoir vu Freddie et ne peut quitter la ville. Pour autant, Tom déménage à l’hôtel l’Inghilterra pour ne pas être dérangé par des amis de Richard qui, désormais, ont son adresse : le journal l’a mentionnée dans l’article qui annonce la mort de Freddie. Les choses se corsent encore davantage lorsque le canot sur lequel Tom a assassiné Richard est découvert sur une plage non loin de San Remo. La police débarque, l’interroge, puis Marge lui rend visite ainsi que Van Houston, un ami de Richard. Tom jongle avec les deux identités selon qu’il est face aux uns ou aux autres. Il décide de partir pour Palerme. Mais là, il est bientôt rattrapé par un autre de ses mensonges : la banque a détecté une fausse signature sur les mandats qu’il a envoyés pour toucher de l’argent. Par ailleurs, la police recherche activement Tom Ripley. En effet, elle soupçonne Richard d’avoir assassiné son ami car il est introuvable et dans le bateau, on a découvert des taches de sang. C’est alors que Tom décide de laisser tomber le masque de Richard et de reprendre sa véritable identité. Il expédie donc tous les bagages de Richard à l’american express de Venise et se rend dans cette ville. Il refait surface et la police recherche donc désormais Richard Greenleaf. De son côté, Tom coule des jours confortables dans un joli palazzo. Mais Richard Greenleaf semble bien s’être envolé. De ce fait, Tom reçoit la visite du commissaire Roverini, du père de Richard, de Marge… à tous, il fait part de son inquiétude : Richard avait l’air si déprimé qu’il craint bien que le malheureux se soit suicidé. Personne ne croit au suicide. Tous pensent que Richard veut être tranquille, qu’il a peut-être changé d’identité, qu’il a peut-être assassiné Freddie. Le père de Richard engage un détective privé nommé McCarron qui ne parviendra pas à retrouver qui que ce soit. C’est alors que les bagages de Richard sont découverts à Venise. Tom est inquiet car ils portent ses empreintes puisque c’est lui qui les a expédiés. Il souhaite partir en Grèce et se dégager de toute ces histoires. C’est alors que survient l’affaire du testament. En effet, Tom a rédigé un faux testament signé Richard Greenleaf qui octroie à Tom l’ensemble de ses biens. Mais Tom peut voyager tranquille. Désormais, tout le monde a accepté la disparition de Richard, même son père qui ne s’oppose pas au testament.

 

          Avec Le talentueux Mr Ripley, Patricia Highsmith signe un polar psychologique dense et bien ficelé. Mais avant tout, elle met en scène un héros, Tom Ripley, complexe et ambigu qui semble refouler une homosexualité latente. Et cet érotisme homosexuel qui baigne le meurtre de son ami Dickie répand sur le roman une ambiance vénéneuse. En effet, Patricia Highsmith met en place de nombreux indices qui, mis ensemble, laissent penser que Tom Ripley est un homosexuel refoulé. D’abord, il déteste sa tante Dottie - qui l’a élevé - car elle le traite de fillette. Par ailleurs, il ne supporte pas qu’on le soupçonne d’être homosexuel. Les raisons pour lesquelles il tue Dickie sont d’ailleurs liées à ce problème : d’un seul coup, Dickie s’est mis à le mépriser, car il le soupçonne d’être homosexuel, Marge lui ayant suggéré que Tom était sans doute affecté de cette particularité. Certes, des raisons sociales – Dickie mène une existence de riche nanti – sont aussi à prendre en compte : Tom rêve de vivre cette vie-là, notamment parce qu’il adore voyager et goûter à une existence de pacha. Pour ces deux raisons, il prend plaisir à se glisser dans la peau de celui qu’il a assassiné. C’est pour lui comme une manière de manifester envers Dickie un amour impossible autrement. Et puis, en prenant son identité, il prend aussi sa vie de pacha tellement enviée. Reste Marge, la plus ou moins officielle petite amie de Dickie ; la jeune femme le répugne. Pourquoi tant de haine ? Parce qu’elle est une femme ? Parce que Dickie l’aimait plus que lui, Tom ? Bref, pour entrer dans la peau de Dickie, le voilà obligé d’aimer Marge, ou du moins de s’en donner l’apparence.

          Mais Tom Ripley, c’est aussi un aventurier talentueux. Après le meurtre de Dickie, tout réside dans l’habileté du mensonge que Tom saura ficeler. Dès lors, il manipule son entourage et déploie tout son art pour se tirer d’affaire avec le beurre, l’argent du beurre et la crémière. Il doit d’une part éviter les personnes qui l’ont connu lui et Richard avant la mort de ce dernier. Surtout, il ne faut pas qu’il se retrouve nez à nez avec des gens qui connaissent Richard – et qui donc savent qu’ils ont en face d’eux Tom et non Richard. En ce qui concerne ceux qui ne connaissaient pas Richard – ou seulement de nom – Tom se coule dans la peau de ce dernier et donne ainsi de change face à ceux qui sont persuadés d’avoir en face d’eux le fameux Richard Greenleaf. Mais au fil des jours et des mois, le jeu et le jonglage entre les deux identités devient de plus en plus périlleux.

          Un jeu tellement acrobatique que même le lecteur se perd un peu dans toutes les manigances de Tom. Et plus on avance dans le roman, plus on s’embrouille et en effet, Patricia Highsmith nous offre là un thriller complexe.

          Pour terminer, j’indiquerai quelques différences sensibles entre le livre de Patricia Highsmith et le film de René Clément, Plein soleil. Dans le roman, Marge ne fait absolument pas partie du voyage en bateau. Elle y est donc beaucoup moins importante que dans le film… Dans le film, elle est désirée par Tom qui imagine, à la fin, l’épouser après avoir fait d’elle la bénéficiaire du testament frauduleux de Philippe – car c’est ainsi que Richard se prénomme dans le film de René Clément - qu’il a lui-même rédigé. Rien de tout cela dans le roman où Tom rédige un testament dans lequel il est le bénéficiaire de tout l’héritage de Richard. Exit Marge avec laquelle il a fallu marcher sur des œufs pour enfin s’en débarrasser.  La fin est également différente puisque Tom se tire de tout l’imbroglio qu’il a monté avec, en prime, l’héritage de Dickie. Dans le film, même si la dernière image est celle d’un Tom tout sourire et triomphant, on sait que l’étau va se resserrer sur lui : le cadavre de Philippe est retrouvé, attaché à l’ancre du bateau qu’on est en train de mettre en cale sèche. Aucun doute, puisque Tom était seul avec Phillipe sur le bateau, le meurtrier ne peut être que lui, Tom.

          Ainsi, le film propose-t-il une fin en totale opposition avec le roman ! Laquelle est la plus forte ? On aime l’ironie du sort proposée par le film : alors que tout semblait enfin terminé pour Tom qui allait pourvoir tirer les fruits de tout le stratagème qu’il avait échafaudé, le voilà rattrapé par son crime… par le cadavre de Dickie qui n’a pas dit son dernier mot.

          Mais il est temps pour moi de repartir en plein soleil ! Les vacances sont là, et comme je n’ai tué personne, je peux en profiter sans état d’âme !



23/01/2024
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