LECTURES VAGABONDES

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Philippe Besson : la trahison de Thomas Spencer / coup de canif dans le contrat !


D’abord, il faut se laisser emporter par la très belle couverture du roman de Philppe Besson : la trahison de Thomas Spencer, roman paru en 2009 aux éditions Jullliard, couverture qui reproduit le tableau d’Edward Hopper / High Road et qui plonge le lecteur dans l’ambiance très Amérique profonde, paisible et heureuse de l’œuvre.  

Thomas Spencer et Paul Bruder sont amis. Presque frères en réalité. Ils sont liés, dès leur plus jeune âge par la perte d’un être cher : Paul a perdu son frère, Richard, tué lors de la guerre de Corée, Thomas n’a pas de père (ce dernier a abandonné sa mère lorsqu’il a appris sa grossesse). Le roman raconte cette amitié virile et inconditionnelle à travers la chronique de l’Amérique des années 50-60 : l’Histoire, en effet, frappe la petite ville de Natchez, dans le Mississipi, en sourdine. Enfance heureuse - faite de parties de pêche, de baignades, de quotidien paisible - parfois troublée par les conséquences du Maccarthisme ou du racisme inhérent à la région. Puis vient le temps des premières amours : sans grandes conséquences pour Thomas qui ne s’attache à aucune des filles qu’il rencontre. Côté Paul, c’est un peu plus problématique : il s’éprend de Claire MacMullen qui disparaît un an plus tard. Ce sont les études qui emmènent Thomas loin de Natchez : à l’Université, il rencontre Julia, avec laquelle il vit un amour libre : 1968, la conscience politique du héros s’éveille. Il fréquente les milieux gauchistes. L’été, il revient à Natchez pour découvrir que Claire est revenue et que Paul est amoureux d’elle. La guerre du Vietnam gronde et Paul, tout pétri de la fierté d’être américain, s’engage. C’est alors que Thomas va trahir son ami… Il entame une liaison passionnée avec Claire. Gravement blessé, amputé et défiguré, Paul rentre du Vietnam et découvre le pot aux roses. Il mettra fin à ses jours peu de temps après.

J’ai beaucoup aimé les ¾ du roman. Philippe Besson excelle dans l’art d’évoquer les petits bonheurs de l’amitié et la force de ce sentiment, ainsi que de brosser une ambiance très Amérique profonde. L’écriture est fine, précise, alerte. Tous ces petits riens de la vie qui fondent une amitié sont racontés de manière passionnante et réellement talentueuse. Bien entendu, il y a du Brockeback Mountain, dans cette amitié qui teinte l’ensemble d’une ambiguïté dont l’auteur se défend à plusieurs reprises : non, il n’y a rien d’homosexuel entre Thomas et Paul. Mais quid alors de ces scènes de baignades où les sexes des deux garçons se frôlent, où Thomas regarde et jalouse le pénis - plus développé que le sien - de son ami ? Par ailleurs, Thomas est un garçon timide et fragile : Paul le protège et le rassure lorsqu’il a peur d’aller à l’école. Cependant, cette dimension sensuelle de l’amitié masculine ne m’a pas gênée : au contraire. Je l’ai trouvée très belle et on sent la délectation de l’auteur lorsqu’il raconte la dimension sagement érotique de la relation entre ses personnages.

Par contre, là où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit d’évoquer les amours hétérosexuelles des deux amis : la narration est superficielle, peu développée : aucune sensualité, aucun sentiment n’est véritablement palpable lorsqu’il s’agit d’évoquer les relations féminines des deux comparses. Certes, on est en pleine période de libération sexuelle, il est de bon ton de papillonner à droite et à gauche sans s’attacher réellement. Mais il y a Claire ! Le grand amour des deux garçons ! Le personnage de la pauvre fille a à peu près autant d’épaisseur que celle d’une épinoche ! Quant à la « trahison, elle est bâclée… non, vraiment, Philippe Besson ne porte aucun intérêt aux amours avec les femmes. Je ne dis pas qu’il ne saurait pas les écrire, créer de beaux personnages féminins. Je pense surtout que ça l’ennuie, qu’il ne prend pas plaisir à ce genre d’histoire… alors il bâcle. C’est bien dommage, en vérité, car cette trahison, le lecteur l’attend depuis le début du roman… Et finalement, elle est si peu racontée qu’elle paraît inexistante, inconsistante. Philippe Besson se défausse en affirmant que son narrateur, Thomas, souhaite plutôt rendre hommage à l’amitié qu’il l’unissait à Paul. C’est un peu facile et le lecteur est déçu : la promesse du titre n’est pas tenue : coup de canif dans le contrat, monsieur Besson : c’est le lecteur qui est trahi !  

Déçu aussi par la dimension politique de la fin du livre : les deux garçons ont, vis-à-vis de la guerre du Vietnam, des convictions opposées qui ne sont guère mises en valeur. Au lieu de fourrer illico presto le canon d’un revolver dans la bouche de Paul, n’aurait-il pas fallu explorer un peu le sentiment de désillusion liée à l’échec de la guerre et à la manière dont les « héros » sont accueillis à l’époque de leur retour au pays ? Bref, une dimension : né un 4 Juillet aurait été heureuse pour étoffer et densifier ce final maigrichon et faiblard que nous propose Philippe Besson.

Reste donc un livre vraiment très plaisant… Philippe Besson a un talent fou pour explorer l’intimité homosexuelle. Il le revendique. On espère qu’il ne tombera pas dans les travers de la « littérature gay », hystérique, vulgaire et pornographique, à l’instar de Maupin… mais que, comme Genet ou Gide, il saura proposer une œuvre marquante dans la littérature homosexuelle.



14/10/2011
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