LECTURES VAGABONDES

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Robert Bloch : Psychose / Psychédélique !

 

 

 

                Parfois, on est tenté de remettre en cause des chefs d’œuvre du cinéma lorsqu’ils volent à un auteur et à un roman la célébrité et la reconnaissance du public. Je dois dire que c’est un peu le cas du fabuleux Psychose d’Alfred Hitchcock que nous connaissons tous par cœur. En l’occurrence, le film vole la vedette au roman dont il est adapté : un roman génial, mais qui perd beaucoup son intérêt puisqu’Hitchcock en a dévoilé la chute. Penchons-nous donc sur Psychose de Robert Bloch, paru en 1960 aux éditions Marabout.

 

               Norman Bates vit seul, dans une drôle de vieille bicoque, avec une mère dont il ne peut se défaire. La vieille dame est en effet très possessive et acariâtre et semble dominer totalement son fils. Ensemble, ils tiennent un motel qui s’avère être un peu abandonné depuis qu’une nouvelle route détourne les voitures de l’endroit où il se trouve. Mary (et non Marion) Crane est cependant heureuse de trouver un endroit pour dormir, ce soir-là : il pleut et elle s’est égarée. Il faut dire aussi que la jeune femme est un peu perturbée : elle a en effet volé quarante mille dollars à l’agence immobilière dans laquelle elle travaille et cherche à rejoindre son fiancé Sam Loomis. Norman est charmé par la jeune femme : ensemble, ils dinent dans la vieille bicoque, puis Mary se rend dans sa chambre. Là, elle prend une douche. Ce sera la dernière chose qu’elle fera dans sa vie : une silhouette de vieille dame surgit derrière le rideau de douche et la poignarde. Norman, cloitré dans le bureau à côté de la chambre, a regardé la jeune femme se déshabiller, puis, très troublé, et un peu ivre, a perdu conscience. Lorsqu’il revient à lui, il ne peut que s’en prendre à sa mère, mais la vieille dame reste égale à elle-même. Il ne reste plus à Norman qu’à effacer les traces du forfait. Une semaine plus tard, Milton Arbogarst, Lila Crane et Sam Loomis s’inquiètent : Mary Crane a disparu après avoir dérobé quarante mille dollars qu’Arbogast est chargé de retrouver. C’est donc lui qui commence des recherches qui s’avèrent être vaines… jusqu’au moment où il échoue dans le fameux motel Bates. L’attitude de Norman ne lui semble pas très nette et le détective décide d’aller voir la vieille dame dont il a aperçu la silhouette derrière la fenêtre du premier étage de la vieille bicoque. Hélas, il n’ira pas plus loin : la vieille dame se précipite sur lui et le poignarde. Norman décide alors d’enfermer sa mère dans le cellier, car il craint que d’autres personnes ne viennent rechercher ce que sont devenues les deux victimes et finissent par découvrir l’existence de cette vieille dame folle et l’interner. Lila Crane et Sam Loomis, inquiets de la disparition d’Arbogast, appellent le Shérif Chambers qui leur fait une étrange révélation : il est sûr que la mère de Norman Bates est morte ; elle s’est empoisonnée à la strychnine avec son amant Joe Considine. Arbogast s’est sans doute trompé lorsqu’il a parlé d’elle aux deux jeunes gens. Alors, très inquiets, Lila et Sam se rendent au motel. Là, ils se font passer pour des clients, et tandis que Sam tente de faire diversion en palabrant avec Norman, Lila part à la recherche de la vieille dame. Mais Norman n’est pas dupe : il assomme Sam et file à la maison. De son côté, Lila est perplexe : cette bicoque est mystérieuse. Entendant du bruit, elle se cache à la cave : là, elle découvre le cellier et l’horreur qu’il contient : le cadavre momifié d’une vieille dame. C’est alors qu’une silhouette – apparemment celle d’une vieille dame – apparait en haut de l’escalier, prête à la poignarder. Heureusement, Sam, remis de ses émotions, arrête Norman Bates dans son élan : c’est en effet Norman qui a commis tous les meurtres… et sans doute aussi celui de sa mère et de son amant. Il souffre d’une sévère psychose que le docteur Steiner explique à Sam et à Lila qui ne peuvent qu’avoir pitié du pauvre Norman qui va finir ses jours à l’asile.

 

                 Après ce long résumé inutile – tout le monde connaît Psychose – voyons un peu ce que cet excellent thriller a dans le capot. Si Hitchcock prend quarante minutes pour nous montrer Marion Crane à l’œuvre dans son vol d’       argent et sa cavale, Robert Bloch passe très vite sur cet aspect des choses pour se concentrer sur le personnage de Norman Bates. Mais ce n’est pas pour autant que le personnage de Mary n’est pas fouillé ! Elle vole l’argent parce qu’elle en a assez de tirer le diable par la queue, parce que Sam, son fiancé, a du mal à s’en sortir avec sa quincaillerie, parce qu’elle en a assez de son travail et des manières grasses de certains clients. Mais finalement, avant de mourir, après avoir tout bien pesé, Mary avait décidé de rendre l’argent pour éviter les galères de la cavale : Mary semble donc un peu plus honnête que Marion, l’héroïne d’Hitchcock.

               Bien évidemment, les lieux sont fondamentaux dans Psychose. La vieille bicoque qui se dessine dans la nuit est incontournable dans le film d’Hitchcock. Dans le roman de Bloch, c’est l’intérieur qui suscite l’inquiétude : il semble figée dans le passé et contient des tas d’objets improbables, démodés, pourris ou inquiétants : des animaux empaillés, par exemple, car Norman pratique la taxidermie.

                     Le personnage de Norman est sensiblement différent du celui incarné par Anthony Perkins chez Hitchcock : il estn en effet, bien loin du gendre parfait auquel on donnerait de bon dieu sans confession et nous sommes face ici à un homme plutôt mûr, un vieux garçon resté sous l’emprise de sa mère, laid, chauve, doté de grosses lunettes en écailles, plutôt timide. Quant aux relations ambigües et perverses qu’il entretient avec les femmes, elles sont très fouillées et très bien présentées dans le roman car ce sont elles qui constituent le ressort du thriller : Norman ne n’assume pas du tout le désir qu’il éprouve pour une femme car le rapport exclusif qu’il entretient avec sa mère – le souvenir de sa mère – est beaucoup trop complexe et envahissant. Il est en quelque sorte resté le petit garçon qu’il était, un petit garçon brimé par sa maman. Pourtant, il a aussi une part adulte qui permet au romancier de faire croire jusqu’au bout au lecteur que la vieille femme vit encore et que c’est elle qui, totalement détraquée, tue toutes les femmes qui veulent aguicher son petit Norman. En effet, Norman justifie son célibat par sa volonté de protéger une mère fragile, qui perd la tête et qui s’est sacrifiée pour lui. Par ailleurs, le roman offre un éclairage saisissant sur le passé du meurtrier psychotique : lorsque sa mère a décidé de se remarier, et que Norman l’a appris, brutalement, en la surprenant au lit avec son amant, il n’a pas supporté ce qu’il a conçu comme une trahison. Plus tard, après une grave dépression, il a exhumé le cadavre de sa mère, l’a momifié et a vécu avec ce dernier dans la conviction de son existence réelle.

              Je pense que vous l’aurez compris : même si on connaît par cœur le scénario de Psychose, le roman vaut quand même le détour. Certes, il perd beaucoup : la chute est magistrale, mais elle ne vaut qu’une fois ; lorsqu’on la connaît déjà, la saisissante surprise n’opère plus. De quoi regretter d’avoir vu et revu le film d’Hitchcock, car je crois que si j’avais lu le roman avant d’avoir vu film, j’aurais pu le mettre dans la catégorie « coup de cœur et coup de massue » hors norme !



05/11/2015
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