LECTURES VAGABONDES

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Tom Sharpe : Comment enseigner l’histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d’une nymphomane alcoolique (Wilt 5) / Comment une histoire qui dégénère séduit une lectrice énervée…




                Comment rédiger un article mesuré sur un bouquin quand on vient de courir pendant plus d'une heure sous une pluie battante et glaciale et qu'on est de mauvaise humeur ? Rien de plus simple ! Une bonne douche bien chaude, un grand bol de café brûlant… et vogue la galère : on se coule sous la couette et on se met à pianoter tranquillement sur son ordinateur portable, la tête encore pleine des fous-rires provoqués par la lecture du dernier roman de Tom Sharpe : Comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une nymphomane alcoolique paru en 2012 aux éditions Belfond.

                L'heure des vacances a sonné pour le professeur Henry Wilt, vacances qui se présentent sous de mauvais auspices. En effet, sa chère et tendre épouse, Eva lui a dégotté un job d'été plutôt galère : donner des cours particuliers d'histoire à Edward Gadsley, un adolescent qui n'a pas son compte de neurones, afin que ce dernier ait des chances d'entrer à l'université de Cambridge en Septembre. Cerise sur le gâteau, Lady Clarissa Gadsley, la mère d'Edward, insiste pour loger toute la famille Wilt dans son manoir de Sandystone. Très vite, Henry se rend compte que c'est mission impossible : Edward ne s'intéresse à rien d'autre qu'aux armes à feu du dernier mari de sa mère, Sir George. Il erre dans le parc du manoir et tire sur tout ce qui bouge… y compris les humains. Pour corser le tout, les quatre filles insupportables de Wilt ont décidé de semer la zizanie à Sandystone, tandis que Lady Clarissa, qui vient de perdre son richissime oncle Harold, entend bien se consoler avec quelques bouteilles et le charmant professeur particulier de son fils. Comment Wilt va-t-il se sortir de tous les imbroglios provoqués par les uns et les autres, et qui, inévitablement, se retournent contre lui ?

Comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une alcoolique nymphomane est en réalité le cinquième tome des aventures du professeur Wilt. Je me demande bien comment j'ai pu passer à côté des quatre premiers et je vais assurément rectifier cette négligence tant il est vrai que nous sommes sans doute ici en présence de petits bijoux d'humour british : c'est assurément le cas pour ce dernier opus des aventures du professeur Wilt.

Mais qu'est-ce que l'humour british selon Tom Sharpe ? Un savant mélange de légèreté, de cynisme et de noirceur. En effet, le roman adopte une forme plutôt théâtrale qui s'apparenterait au vaudeville : il se construit comme une suite de saynètes assez courtes et dynamiques dans lesquels le dialogue acide a la part belle : au centre de la plupart des propos, les relations familiales ou conjugales… et alors là, ça décape ! Tom Sharpe offre une vision très noire du couple ou de la famille, vision qui viendrait corroborer l'adage de Jean-Paul Sartre : « l'enfer, c'est les autres ». Ainsi, Henry Wilt ne se gêne pas pour balancer à la figure de son épouse Eva, que celle-ci est une emmerdeuse, à toujours vouloir commander, prendre toutes les décisions… par ailleurs, elle a une propension à pêter plus haut que son cul, ce qui l'insupporte. Eva, quant à elle, lui rétorque qu'il est du genre minable, sans ambition. Wilt regrette amèrement le jour où il a eu le malheur de concevoir avec elle les quadruplettes qui ne prennent leur pied que lorsqu'elles créent des ennuis partout où elles se trouvent. D'ailleurs, son pire tourment, c'est de devoir remplir son devoir conjugal ! Quelle galère ! Non, Wilt n'est guère porté sur le radada ! Ni avec son épouse, ni avec Lady Clarissa, qui toujours entre deux vins, a le toupet de lui faire des propositions indécentes qui ne le tentent guère.

Outre cette vision noire du couple,  de la famille, le roman se double d'une satire sociale bien sentie. Eva Wilt est une bourgeoise qui admire l'aristocratie : voilà pourquoi elle met la pression sur Wilt pour qu'il paye à leurs quatre filles une parfaite éducation dans une école haut de gamme qui coûte la peau des fesses, voilà pourquoi elle est très honorée d'intégrer de près ou de loin la famille de Sir George et de Lady Clarissa Gadsley via les pénibles cours d'histoire donnés à leur crétin de fils dont le pauvre Wilt doit se charger. L'aristocratie n'est guère épargnée : Sir George ne supporte plus Lady Clarissa qui passe son temps au lit… en de masculines compagnies - dont celle du chauffeur - et qui est un peu trop portée sur la bouteille. Sir George a les mêmes défauts, mais Lady Clarissa s'en fiche. Elle ne s'est pas remariée par amour. Quant à son premier mari… il est mort dans de bien mystérieuses conditions. Et quant à oncle Harold, sa mort tombe à pic : inutile de s'embêter à lui chercher une maison de retraite pas trop onéreuse, et par ici l'héritage !

Cependant, le roman a effectivement un gros défaut : le titre, prometteur, ne correspond pas vraiment à la colonne vertébrale de l'œuvre. Wilt a bien du mal à rencontrer son élève qui erre dans le parc du manoir, fusil en main : ainsi, rien sur « comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré ». Quant à l'alcoolique nymphomane Lady Clarissa, elle n'est pas de celles qui s'obstinent quand on lui refuse une partie de jambes en l'air. Il y a tant d'autres amateurs dans les parages ! Voilà pourquoi, Wilt n'aura guère beaucoup de peine à repousser les avances de la nymphomane alcoolique. A la place, Tom Sharpe nous promène dans un enchevêtrement d'embrouilles plutôt farfelues… et par conséquent plutôt tirées par les cheveux. En effet, tout va tourner autour du cadavre d'oncle Harold qui doit être enterré dans le parc du manoir, des quadruplettes bien décidées à jouer une bonne farce aux adultes en faisant disparaître le corps du défunt, de l'abruti Edward qui tire sur tout ce qui bouge dans le parc du manoir… jusqu'à se tirer sur lui-même ! Bref, après une assez longue, mais savoureuse mise en bouche plutôt statique mais bien caustique, les quiproquos et les chassés-croisés s'enchainent comme des bulles de savon légères qui éclatent et rebondissent pour le divertissement du lecteur…. Mais, pour ma part, j'ai beaucoup moins apprécié cette seconde partie du roman, superficielle et purement divertissante, nettement moins noire, moins caustique, moins satirique que la première.

Ainsi est-il temps d'achever ce laïus sur comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une alcoolique nymphomane. Comment donc mettre un point final à un roman pour lequel on pense que le point d'exclamation jubilatoire est la juste ponctuation ? Eh bien, même si l'intrigue n'est pas forcément toujours bien ficelée, on s'amuse beaucoup dans ce roman à la fois léger et très noir. Et puisque nous sommes à la fin de l'année 2012, il est temps de faire des vœux pieux pour l'année qui pointe son nez ! Mais sans trop se mouiller ! (on espère une année 2013 un peu moins pluvieuse pour les joggeurs !), histoire de tenir ses engagements, pas folle la guêpe ! Alors, voilà une idée de très bonne résolution pour l'année prochaine : lire un ou plusieurs Tom Sharpe !



09/02/2013
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