LECTURES VAGABONDES

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Daniel Pennac : la fée carabine / un roman qui tire à bout-portant !


Après Au bonheur des ogres, voici le second volet de la saga Malaussène : La fée carabine, écrit par Daniel Pennac et paru en 1987 aux éditions Gallimard. Ce roman se situe dans l’esprit de son prédécesseur, mais peut également se lire de manière indépendante.

Nous retrouvons donc toute la petite tribu Malaussène à Belleville. Cependant, la famille s’est quelque peu agrandie : Benjamin héberge en effet quatre vieillards drogués qu’il a en charge de sevrer. Il travaille désormais aux éditions du Talion, toujours comme bouc-émissaire.

Le roman débute en plein hiver : Belleville est la proie de toutes sortes de troubles plutôt meurtriers : des vieilles dames se font égorger par des arabes (enfin, c’est ce que croit au départ la police), une jeune femme inconnue est retrouvée à moitié morte dans le ventre d’une péniche, une grand-mère tue le policier Vanini en pleine rue, et puis, il y a tous ces vieillards drogués qui hantent la ville et que Benjamin accueille chez lui. Voilà, au départ, toutes les affaires que l’inspecteur Pastor et l’inspecteur Thian doivent démêler : des affaires apparemment sans liens entre elles. Cependant, peu à peu, les fils vont se resserrer et s’entremêler : l’enquête aboutira à la découverte d’un sombre trafic immobilier dans lequel trempe la police (le commissaire Cercaire et ses hommes), le monde politique (le secrétaire d’état aux personnes âgées, Arnaud Le Capelier), et l’architecte Ponthard-Delmaire qui arrose de drogue les vieux de la ville avec la complicité des autres afin de les envoyer au plus vite dans des mouroirs et récupérer à bas-prix leur logement Bellevillois.

Mais avant d’en arriver là, que de rebondissements et de sinuosités ! La fée carabine déploie une intrigue savamment compliquée dont Pennac tire habilement les ficelles pour la plus grande joie du lecteur. Nouveauté par rapport au premier roman, Au bonheur des ogres : l’auteur utilise les points de vue multiples. Ainsi, la même scène va-t-elle être écrite plusieurs fois car elle implique plusieurs personnages qui la vivent de manière différente… C’est ainsi qu’au départ, le lecteur ne sait pas que la jeune femme inconnue n’est autre que Julie, la journaliste et petite amie de Benjamin, laissée à l’abandon sur une péniche après avoir été agressée par les hommes de Ponthard-Delmaire, lesquels sont à la recherche de l’article qu’elle a écrit sur le trafic de drogue et de vieillards qui a lieu dans Belleville. Il va falloir attendre que la famille Malaussène aille par hasard à l’hôpital pour qu’elle soit enfin identifiée et démasquée aux yeux du lecteur.

Autre nouveauté par rapport au premier roman : ce n’est désormais plus véritablement Benjamin Malaussène qui est le héros du livre, mais une multitude de personnages qui se croisent et se décroisent tout en apportant leur pierre à l’éclaircissement de l’affaire : si à plusieurs moments, la police est tentée de se servir de Benjamin comme bouc-émissaire à toutes les affaires, celui-ci n’est jamais véritablement inquiété et se place dans la position de témoin et d’observateur - un peu perplexe - des événements. Dans la fée carabine, c’est la police – et particulièrement les inspecteurs Pastor et Thian – qui enquête et mène l’intrigue.

Encore une fois, à travers une enquête policière échevelée, très riche en rebondissements et tout à fait divertissante, Pennac fait passer un message en faveur des faibles et des opprimés : dans au bonheur des ogres, il défendait les enfants, dans la fée carabine, il défend les vieillards qu’on spolie et dont la vie, considérée désormais comme inutile, est méprisée.

Sans doute ce second volet de la saga Malaussène est-il encore plus réussi que le premier : tout d’abord, les personnages gagnent en profondeur car on découvre le passé mêlé de plusieurs d’entre eux : Julie, Thian et Pastor ont tous trois eu des parents qui ont connu et vécu à leur manière la décolonisation, qui ont touché d’une manière ou d’une autre à la drogue et qui ont laissé à leurs enfants un héritage idéologique : celui de lutter pour un monde plus propre et plus égalitaire.

Ensuite, le quartier de Belleville est restitué de manière plus authentique : on y retrouve toute sa diversité culturelle et ethnique à travers un fourmillement de personnages de différentes origines : arabes, vietnamiens, serbes, russes… : tout ce petit monde se croise et se décroise à travers les rues et les appartements de Belleville. De manière plus générale, il y a, dans la fée carabine, un appel à la tolérance et à l’harmonie entre les différentes cultures, mais aussi entre les différentes générations. A ce propos, lorsque grand-père Verdun meurt, la mère de Malaussène accouche d’une petite fille qu’elle prénomme Verdun : c’est ainsi qu’on passe le témoin à l’avenir. Les vieillards, d’ailleurs, sont aussi ceux qui désormais racontent les histoires aux enfants au moment du coucher.

Enfin, j’ai eu l’impression que l’écriture de Pennac avait, elle aussi, évoluée. L’argot davantage utilisé dans la fée carabine, vient mettre une touche locale plus forte, et accentue la vivacité et la truculence du style déjà très imagé et poétique de Pennac.

Ainsi s’achève mon article sur le second volet de la saga Malaussène : la fée carabine ; je me demande si Pennac peut encore faire mieux avec la petite marchande de prose. La suite au prochain numéro, donc.



26/11/2010
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