LECTURES VAGABONDES

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Edita Morris : Les fleurs d’Hiroshima /une pensée pour le Japon


A l’heure où le Japon est à nouveau dans la tourmente d’une catastrophe nucléaire à Fukushima, ce livre assez ancien (puisqu’il date de 1961), se trouve finalement être totalement d’actualité, puisqu’il traite des conséquences de la bombe atomique lancée sur Hiroshima, le 6 Août 1945 à 8 heures 16 minutes et 2 secondes, heure locale. Les fleurs d’Hiroshima, c’est donc un roman écrit par Edita Morris en 1961 et paru aux éditions René Julliard. Il a également reçu, cette même année, le prix Albert Schweitzer.

Nakamura est la narratrice : c’est sa voix de femme simple, humble et pudique qui déroule une histoire familiale dramatique, 15 ans après la ruine d’Hiroshima. Afin de gagner un peu d’argent, elle loue l’une de ses chambres à un jeune américain nommé Sam Willoughby. Elle est mariée à Fumio dont elle a deux enfants : Tadeo et Michiko. Sa jeune sœur, Ohatsu vit également sous son toit. Toute la famille tait son terrible secret devant l’américain : il y a 15 ans, la bombe n’a épargné aucun de ses membres… tous sont irradiés. Sam, cependant, découvrira progressivement la vérité et sera témoin des drames qui, bientôt, vont déchirer la famille de Nakamura : son mari, Fumio, agonise à petit feu sous son propre toit, puis à l’hôpital. Quant à Ohatsu, elle vit un grand amour avec Hiroo Shimizu qui veut l’épouser. Hélas ! La famille du jeune homme s’oppose à ce projet : la jeune fille est susceptible de donner naissance à des monstres, car elle a été irradiée. Pour éviter qu’Hiroo ne trahisse la volonté de sa famille, Ohatsu se suicide.

Eh oui, 15 ans après… on meurt encore d’Hiroshima et ce, de toutes les manières possibles. Lente agonie due aux irradiations, suicide par refus d’un destin lié à ce qu’on ne peut accepter et qui se révèle être le comble de l’horreur et de l’injustice… Mais aussi, quelle vie pour les irradiés ? Ils sont des parias dans la nouvelle Hiroshima. Ils vivent misérablement, à l’écart de ceux qui n’ont pas été touchés et qui refusent leur contact. « Jamais plus Hiroshima » : c’est le message que ce roman souhaite faire passer. Y parvient-il ?

Oui, bien sûr, un peu… mais lorsqu’on fait figurer une telle phrase-choc en préface du roman, on faut que la suite soit à la hauteur… On s’attend à recevoir un coup de poing en plein estomac… Et puis… rien : on s’ennuie un peu, l’électrocardiogramme de la narration reste d’une platitude inquiétante, même dans les passages qui évoquent la bombe, la mort, Hiroshima et ses monstres.... et puis, le livre achevé, on passe à autre chose. Désolée pour Edita Morris, mais son talent d’écrivain (qui n’est pourtant pas inexistant) n’est pas à la hauteur du sujet traité, ni à celle de l’ambition qu’elle nourrit en ce qui concerne ce roman.

Premier défaut de ce livre : le choix de la narratrice. Edita Morris prête sa voix à la frêle et insipide Nakamura, femme mariée, mère, entièrement tournée vers sa famille, ses amis. Ses préoccupations sont de protéger son locataire, Sam, des horreurs qu’il pourrait découvrir, de profiter des moments conviviaux en famille, de s’extasier sur la beauté de la nature au printemps. Je ne pense pas que, vu le profil de la Nakamura-narratrice, elle puisse être celle qui sache faire vibrer ce « jamais plus Hiroshima » qui chapeaute le roman.

On soulignera au passage la volonté assez louable d’Edita Morris de ne pas se cantonner à une vision désespérée et désespérante des rescapés d’Hiroshima… Ils vivent comme presque tout le monde : vont au magasin, organisent des fêtes, font du jardinage… Ils aiment le soleil et s’extasient devant les miracles de la vie : une limace, un écureuil, une sauterelle… le cerisier en fleur. Et puis, il y a le côté sombre : la douleur et les morts causées par l’irradiation. Cependant, cette opposition entre ces deux faces de la vie des irradiés est vraiment très démonstrative, caricaturale, lourde. Souligner le désir de vivre des parias d’Hiroshima en les livrant à l’observation béate de la vie de petits insectes insignifiants qu’on peut écraser à tout moment (comme ils l’ont été, eux), c’est vraiment trop cliché.

Par ailleurs, les scènes de bonheur familial me paraissent être davantage prétexte à évoquer quelques coutumes nippones : plats traditionnels, vêtements usuels, ameublement typique, fêtes et déguisements… petite virée de quelques  heures en bus de tour opérateur : arrêt obligatoire à la boutique de cartes postales et d’images d’Epinal. On a parfois l’impression de lire les 10 premières pages du guide du routard, 10 pages pour tout comprendre des coutumes locales du pays où tu passes quelques jours de vacances. L’horreur absolue ! On est ici à la limite du contresens avec le fameux « jamais plus Hiroshima ». D’ailleurs, lorsque Fumio est à l’hôpital, le docteur Domoto fait faire à l’américain Sam sa petite tournée touristique des horreurs : il lui montre, les uns après les autres, les moribonds attendant la grande faucheuse dans leur petit lit blanc. Oui, ce roman a vraiment un côté voyage organisé chez les rescapés d’Hiroshima… Par ailleurs, le moment où Nakamura raconte la bombe est très mal rendu : l’écriture est faible ; Edita Morris n’y était pas, et n’y est toujours pas au moment d’écrire… Car enfin, l’affaire d’Hiroshima est quand même suffisamment exceptionnelle et inconcevable…. Dur-dur de raconter avec justesse un tel cataclysme si on ne l’a pas vu, senti, ressenti. Bref, rien n’est là, dans ce livre, pour cautionner le « jamais plus Hiroshima ».

Alors voilà : entre une petite japonaise qui n’est habitée d’aucune haine, d’aucune rage et un américain bien gentillet et compatissant… on n’est pas sorti de l’auberge pour dénoncer ce mal absolu – Hiroshima - qu’on tait beaucoup, de toutes manières… et pour cause !

Je comprends très bien qu’il soit difficile pour une américaine de dénoncer véritablement Hiroshima… car alors, c’est son propre pays qu’elle serait amenée à renier. Qu’elle ait voulu avoir une pensée pour le Japon, c’est fort louable… On aurait aimé un peu mieux quand même que cette fin pleurnicharde dans laquelle on s’enfile deux morts coup sur coup, après des pages et des pages insipides sur les coutumes locales : m’enfin ! « Jamais plus Hiroshima ! »



15/04/2011
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