LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Fannie Flagg : Beignets de tomates vertes / Au café des délices.


                Il y a quelques jours, sympathique coïncidence, je viens de revoir sur RTL9 le film de Jon Avnet, tiré du roman de Fannie Flagg dont j'achève la lecture : Beignets de tomates vertes paru en France en 1992 aux éditions J'ai lu.

                Sur mon magazine télé, la critique est incendiaire : si deux étoiles ont été octroyées au film, le petit laïus qui les justifie est plutôt salé : « un film aux allures de sitcom, dégoulinant de bons sentiments ». Fichtre ! Si le film est moins bon que le roman, il est cependant tout à fait honnête et ne mérite point tant de haine ! Mais nous sommes ici pour parler du livre.

                Evelyne Couch a la cinquantaine dépressive : elle mange beaucoup et n'arrête pas de grossir. Cependant, une rencontre va changer sa vie. Sa belle-mère est placée à la maison de retraite de Rose Terrace et régulièrement, Evelyn lui rend visite. Là, elle rencontre une pensionnaire à la langue bien pendue : Ninny Threadgood. La vieille dame commence à lui raconter les histoires qui ont agité la petite ville de Whistle Stop, et son très célèbre café : The Whistle Stop Café, des années 30 aux années 50. Peu à peu, la quinquagénaire va se passionner pour les personnages des récits de Ninny et retrouver goût à la vie.

                Beignets de tomates vertes est un roman qu'on peut difficilement résumer : il comporte tant de personnages ! Tant d'histoires qui se succèdent sans jamais marquer un tournant définitif dans la vie quelque peu routinière de Whistle Stop, petite ville du fin fond de l'Alabama !

Cependant, les personnages emblématiques du roman sont sans doute Ruth Jamison et Idgie Threadgood. Les deux femmes dirigent le café de Whistle Stop et ont un caractère bien trempé qui fait qu'on ne les oublie pas facilement ! Ruth et Idgie se sont rencontrées dans leur jeunesse et sont tombées amoureuses l'une de l'autre. Cependant, Ruth s'est mariée à Franck Bennett, un homme sombre et violent qui la bat à ses heures perdues. Lorsque Idgie apprend le triste sort de celle qu'elle aime, elle débarque chez elle et l'emmène : désormais, Ruth, son fils Stump et Idgie ne se quitteront plus et feront du café de Whistle Stop un havre de paix résistant aux agressions de la mentalité du sud de l'Amérique, pétrie de racisme et de machisme.

En effet, le Whistle Stop Café se conçoit comme une communauté qui vit selon ses lois : là des noirs cohabitent avec des blancs ou encore des hobos, dans la plus étroite sympathie. Tous donneraient leur vie pour la très sémillante patronne : Idgie. D'ailleurs, Idgie sert des beignets de tomates vertes, de la viande, des sandwiches aux noirs qui travaillent sur la ligne de chemin de fer qui dessert Whistle Stop, ce qui ne plait pas aux membres du Ku Klux Klan qui parcourent la région. La jeune femme est tellement révoltée par la ségrégation raciale qui régit les rapports entre les blancs et les noirs – induisant souvent une terrible misère pour ces derniers - qu'elle détourne des marchandises en prenant d'assaut des trains qui gravitent dans la région : elle balance les ballots remplis de nourriture sur les rails afin que les noirs puissent les récupérer.

Cependant, le roman ne se contente pas de proposer le lénifiant message de tolérance porté par Idgie, à savoir, « le racisme, c'est mal, il faut apprendre à vivre ensemble et à se respecter ». En effet, nous trouvons aussi des personnages de noirs très ambigus. Certains sont violents et n'hésitent pas à tuer leurs comparses : de violents et sanglants règlements de compte ont lieu dans la communauté noire qui pratique souvent la loi du talion dans une omerta infrangible. D'autres sont fascinés par la peau blanche, les cheveux lisses, car plus on est proche du physique des blancs, plus on est respecté, y compris dans la communauté noire. D'autres, enfin haïssent les blancs. Ainsi, le portrait de la communauté noire proposé dans beignets de tomates vertes est-il plutôt nuancé, pétri de contradictions et de paradoxes. On est loin des bons sentiments dégoulinants fustigés dans la critique du film ! Non, les noirs ne sont pas meilleurs que les blancs, non, ils ne sont pas seulement de pauvres victimes du racisme, oui, ils peuvent être redoutables.

La seconde veine qui irrigue le roman concerne le machisme qui règne allègrement en Géorgie ou en Alabama dès années 30 à la fin des années 80. De Ruth qui est battue par Franck Bennett, son époux, à Evelyn Couch qui ne supporte plus son mari sans cesse occupé à regarder des matchs de foot en buvant de la bière tandis qu'elle se tape toutes les corvées ménagères, en passant par tout un tas d'autres anecdotes qui mettent en prise les hommes et les femmes, on a bien ici un panorama de la condition féminine dans l'Amérique profonde. Seule Idgie détonne et les récits de Ninny la concernant éveilleront la révolte d'Evelyn contre la soumission dont elle est l'objet. En effet, Idgie est une femme qui n'a pas froid aux yeux… Elle n'hésite pas à se friter avec les hommes et particulièrement avec Franck Bennett qui regrettera d'avoir croisé son chemin ! Parmi les personnages secondaires, nous croisons régulièrement Dot Weems, la postière de Whistle Stop qui tient la gazette de la ville ; Dot ne se laisse guère mener par sa moitié et dans son ménage, c'est elle qui porte les culottes.

Enfin, la construction du roman est vraiment originale et diachronique. Nous sommes dans les années 80, et des personnages qui ont émaillé la ville de Whistle Stop, il ne reste plus grand monde ; la plupart sont morts ou en maison de retraite : c'est le cas de Ninny Threadgood qui raconte de manière rétrospective les aventures de la petite ville de Whistle Stop à l'époque où son café était le centre vivant du coin. Cependant, son récit est interrompu par des chapitres à la narration extra-diégétique qui ressuscitent Idgie, Ruth, Big Georges, Stump et tous les autres. A ces perspectives s'ajoute celle de Dot Weems, rédactrice de la gazette de Whistle Stop dont de larges extraits émaillent le roman. Ainsi, Beignets de tomates vertes fonctionne comme un puzzle que le lecteur est invité à reconstituer, mais aussi comme un kaléidoscope centré sur la ville de Whistle Stop et son histoire. 

Alors, bien sûr, le roman comporte quelques passages basés sur les bons sentiments ! La nostalgie…. Aujourd'hui, l'âme de Whistle Stop s'est perdue dans l'extension de Birmingham, la ville voisine ; également, on soulignera la fin du roman qui cherche à nous mettre la larme à l'œil.

Ainsi toutes les anecdotes qui composent ce roman sont à déguster comme des beignets de tomates vertes et autres petites douceurs dont les personnages ont le secret et qu'ils aiment consommer. D'ailleurs, le roman se termine par quelques recettes de cuisine qui invitent le lecteur à préparer tous les bons mets proposés au café de Whistle Stop : tarte aux noix de pécan, poulet frit à la sudiste et bien sûr, les beignets de tomates vertes !

Alors pourquoi ne pas essayer ? Promis, la prochaine fois que je ferai une tempura, j'essayerai d'y mettre des tomates vertes et je donnerai mon verdict… Buon appetito e a tanto !  



15/06/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres