LECTURES VAGABONDES

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Gilberte-Louise Niquet : Le jour de tous les printemps/Un printemps pourri

          Nous voici déjà à la mi-juin et dans à peine une semaine, nous allons vivre le dernier jour de ce printemps 2015. Il semblerait que sur ce coup-là, au propre comme au figuré, Gilberte-Louise Niquet soit en retard d’une saison avec ce pitoyable roman : Le jour de tous les printemps paru en 1998 aux éditions des Ecrivains.

 

          Nous sommes à l’aube du XXème siècle Elise Picavet nait ; elle est la troisième fille du docteur Picavet, ce qui arrache à sa mère – qui désire ardemment un fils – un terrible « Quel malheur » qui pèsera lourdement sur le destin de l’enfant. Le jour de tous les printemps raconte largement sa vie, mais aussi un peu celle de toute la famille dans laquelle elle grandit, puis aussi celle qu’elle

fondera avec Alban Villiers pendant la première moitié du siècle. Puis, ce sera Clémence, le cinquième enfant d’Elise, qui deviendra le personnage principal pour l’histoire qui va se dérouler dans la seconde moitié du siècle, car le roman se veut être une sorte de saga familiale qui parcourt tout le XXème siècle.

 

          Je dois dire que j’ai rarement lu un roman aussi mauvais et aussi réactionnaire dans les idées qu’il diffuse. Je me suis demandée assez vite si je n’allais pas renoncer tant le début qui raconte l’enfance d’Elise Picavet sur un ton débilitant, m’a paru insupportable.  

          Petit extrait bien édifiant !

 

          « La maîtresse montre un rat qui s’appelle « Riri ». Elle dit que c’est un Papa-rat puisqu’il porte un pantalon et une chemise. Il mord dans un gros morceau de fromage pour ramener de la nourriture à ses petits. Et voilà justement la maman-rat qui arrive à la page suivante avec sa ribambelle de ratons. C’est « Mimi ». Les enfants répètent : « Riri », « Mimi » ».

 

          On l’aura compris, ces passages de ce type – qui sont légions - où l’auteure raconte (ou plutôt s’égare), par exemple ici : comment son héroïne découvre la lecture dans un livre pour enfants n’ont aucun intérêt. Mais ce n’est pas le pire - qui reste à venir.

          D’abord, puisque le livre raconte le destin de plusieurs héroïnes qui s’égrènent sur le XXème siècle, on est forcément confronté à l’image de la femme qui s’en dégage. « Quel malheur », certes, dira la mère d’Elise à sa naissance, mais « Quel malheur » d’être une femme a-t-on envie de dire lorsqu’on lit Le jour de tous les printemps. En effet, Elise est une sorte de mère-courage qui ne pourra épouser Arnaud Wilfart, l’homme qu’elle aime - car il est épileptique – qui épousera Alban Villiers, qu’elle n’aime pas, duquel elle aura 5 enfants, qui la trompera, deviendra alcoolique. Mais sera quand même un héros ! Le médecin des pauvres. A la mort de son époux, Elise doit travailler et elle élèvera seule et très courageusement ses 5 enfants… mais seule Clémence, le vilain petit canard qui n’était pas désiré, restera près d’elle. Ô ingratitude des enfants ! Ensuite, avec Clémence, donc, autre destin horrible. Clémence aime Jacques Perrin, mais le jeune homme veut faire sa vie aux USA et la jeune femme doit s’occuper de sa mère qui décline. Elle est aussi devenue professeur émérite et publie des ouvrages de pédagogie. Sa vie est en France et elle restera une vieille fille que tout le monde abandonnera – et même elle sera trahie par ceux qu’elle a portés dans sa vie professionnelle. Elle meurt dans la solitude.

          Par ailleurs, le livre véhicule des valeurs pas très délicieusement passéistes. Pétain n’a qu’à bien se tenir : travail : toutes les héroïnes travaillent ; soit pour élever des enfants, soit parce qu’elles sont douées et passionnées. Mais le travail est ingrat ! Elise, arrivée au terme de sa vie, a vu tous ses enfants s’éloigner d’elle… tous, sauf Clémence, le vilain petit canard qui se passionne pour la pédagogie. Elle fait une belle carrière, mais, lorsqu’elle vieillit, elle est évincée par ceux qu’elle a aidés. Deuxième valeur : la famille. Elle est centrale, dans le roman. Elle est aussi l’objet de sacrifices et de déceptions : Elise construit sa vie autour de ses enfants, mais sur ses cinq rejetons, seule Clémence s’intéressera encore à elle au moment de la vieillesse. Quant à Clémence, elle a sacrifié son seul amour pour rester auprès de sa mère, jusqu’à la fin. Reste la patrie : mais sur ce point, Gilberte-Louise Niquet sèche un peu car si sa saga se veut embrasser tout le XXème siècle, elle évince très vite les grands événements historiques qui l’ont jalonné. Incapable de soutenir le pari de l’histoire. Et puis, la chose ne l’intéresse que pour ce qu’elle apporte de ruine et de désespoir : il faut bien en rajouter dans le larmoyant. Ainsi, la guerre 14, ce sont les morts, et les blessés, et la guerre 40, ce sont les bombardements, les restrictions et la mort. Pour le reste, mai 68 ne trouve pas grâce aux yeux de l’auteur qui envisage la période comme une vieille qui râle contre la jeunesse : rien que de cons qui ne respectent plus rien et qui croient tout savoir !

          Voici ce que Gilberte-Louise Niquet pense de mai 68 :

 

          « L’hydre a ses dieux : les collectivistes ou les nihilistes : Althusser, Marcuse, Ivan Ilitch… On veut « une société sans école », on veut la fin des valeurs en cours, celles du christianisme, bien sûr, mais aussi celles de la morale laïque. On crie qu’il est interdit d’interdire. On veut coucher, partout, et de suite, comme on veut. La Sorbonne est un lieu d’assemblées fibreuses où les jeunes, exaltés par leurs slogans, l’insomnie, et l’illusion d’être Gavroche sur les barricades, rédigent des motions arrogantes, souvent outrées, parfois incohérentes. La Sorbonne est aussi un lieu où l’on couche beaucoup. On couche pour la première fois, ou pour la énième fois au hasard des rencontres. Peu de filles osent dire qu’elles y gagnent peu de plaisirs, encore moins de la tendresse. Ces jeunes ne savent pas qu’ils gâchent ou compromettent à jamais leur capacité à accéder un jour à ces contrées de plénitude qu’ont connues Jean et Laure, Léontine et François. On veut le sexe pour le sexe. Celui-ci n’est plus la clef d’or qui ouvre les portes du Walhalla. »

 

          Allez mamie, qu’est-ce que t’as encore dans ta besace ? Fais-nous rire. Ah oui ! Le prêchi-prêcha catholico-athée. Bien évidemment, avec une telle conception de la vie qui ne serait qu’un perpétuel sacrifice, inutile de dire que le bonheur, c’est ailleurs qu’il se trouve. Dans le ciel ! Après la mort ! tous les personnages trouvent, en effet, leur moitié d’orange sur terre. Elise aime Arnaud, Le docteur Picavet aime Laure, Léontine aime François, Clémence aime Jacques. Mais aucune de ces héroïnes ne pourra mener sa vie de concert avec leur moitié désignée par Dieu. Toutes attendent donc la mort : Le jour de tous les printemps, pour retrouver l’être aimé dans la paix et le bonheur éternel. Plus le roman avance, plus on est confronté à ces pages exaltée, au point que l’auteure finit par associer Clémence à Jésus : celle qui s’est sacrifiée, qui a fondé une église, mais qu’on bafoue et crucifie. Sinon, ça et là, on trouve des invectives contre Dieu qui est méchant car il nous enlève les personnes aimées et on ne les revoie jamais… sauf plus tard, dans « le jour de tous les printemps ».

          Finissons-en, voulez-vous ? Des collègues à moi ont connu Gilberte-Louise Niquet, qui fut une excellente grammairienne et qui est morte. A quoi bon assassiner une morte ? Le livre est mal construit car l’auteure fait vivre à part égale, au début, un certain nombre de personnages, qui ensuite se perdent lamentablement dans le néant. C’est le cas, par exemple de Léontine, la sœur ainée d’Elise : elle ne peut épouser celui qu’elle aime et dont elle est enceinte : François - parce qu’il n’est qu’ouvrier. Elle épouse donc un riche bourgeois : Omer Goudenhof et mènera une vie sans amour, avec un homme gentil et généreux. Après avoir subi la narration page par page du moindre bobo de Léontine, on la perd subitement de vue et on apprend, à un moment, qu’elle est morte. Et l’affaire se reproduit avec tant d’autres personnages ! Je passe sur le fait que l’œuvre est très mal imprimée : j’ai emprunté le livre à la bibliothèque et une lectrice qui m’a précédée a corrigé toutes les fautes d’orthographe qui jalonnent le roman. Merci à elle… ou non. Elle attire par là, très fortement, l’attention sur la médiocre qualité de ce roman qui n’a su trouver, pour paraître, qu’une maison d’édition merdeuse.

          Allez !  Pour sauver ce petit roman, je dirai qu’il émane de celui-ci une certaine fraicheur. Comme une madeleine de Proust, certaines pages ont éveillé en moi des souvenirs très lointains de lecture : quand j’apprenais à lire, les textes étaient très simples et glorifiaient la vie de famille : papa, maman, le chien, le frère… les saisons. J’ai aimé la simplicité poétique avec laquelle Gilberte-Louise Niquet évoquait la succession des saisons. Voilà, c’est à peu près tout. Amen.

 



21/05/2018
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