LECTURES VAGABONDES

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Irène Némirovsky : David Golder / d’or et d’argent.


Voici, pour ce second jour de vacances d'été grecques, le premier roman d'Irène Némirovsky : David Golder, paru en 1929 aux éditions Grasset.

David Golder est un riche homme d'affaires juif… cependant, à la veille des années 30, la crise économique frappe de plein fouet le monde financier. David Golder n'est pas épargné. Son empire est en grande difficulté. C'est alors que tout se précipite pour le pauvre homme : usé et malade, il est assailli par sa femme, Gloria, et sa fille, Joyce, qui n'entendent pas se passer du train de vie aisé que leur a procuré l'homme jusqu'ici. Elles se montrent sans pitié envers ce dernier qui reprendra du collier, dans un ultime effort face au monde impitoyable de la finance, pour préserver le confort de sa fille Joyce.

Avec ce premier roman plein de promesses tenues depuis, Irène Némirovsky entre de plein pied dans la satire sociale d'une noirceur assez cruelle, mais qui se défend très bien. Le roman se déploie autour du personnage de David Golder, vieil homme d'affaires malade et usé, sorte de père Goriot moins idéaliste et sentimental que celui de Balzac et par là même peut-être un peu moins plausible. Comme Goriot, David Golder a amassé une fortune par amour pour sa femme, puis pour sa fille, Joyce, jeune écervelée frivole et dépensière qui ne pense qu'à Alec, un prince ruiné qui énerve sa sensualité amoureuse. Cependant, à la différence de Goriot, David Golder ne se fait plus guère d'illusion sur sa femme, qui entretient depuis des années un amant – Hoyos, peut-être le père biologique de Joyce - à ses frais. Plus guère d'illusions sur Joyce, sa fille chérie, qu'il traite très durement : « c'est une grue »… Il sait qu'elle ne vient le voir que lorsqu'elle a besoin d'argent. Alors, vraiment, puisque David Golder est désormais un homme pétri de haine pour les siens, pourquoi va-t-il encore se ruiner la santé – fragile – en toute conscience pour une fille qui ne tient à lui que parce qu'il est sa source d'argent ? Il y a là une aberration psychologique qui me chagrine un peu.

Un peu seulement, car Irène Némirovsky parvient brillamment à substituer à l'analyse psychologique, l'explication sociale. Dans ce roman, il est clair que ni les hommes, ni les femmes ne sont vraiment responsables de la cruauté avec laquelle ils traitent leur prochain : ils sont mus par l'égoïsme et la sauvegarde de leur statut social. Au-delà de ces considérations, ils sont la proie d'exigences liées à la société dans laquelle ils évoluent. Dans ce monde-là, les femmes ne travaillent pas et dépendent financièrement des hommes. Pourtant, elles ont un train de vie à mener : il leur faut des bijoux pour pavaner dans les réceptions, des croisières de luxe au cours desquelles elles se jaugent entre femmes du même milieu. Il leur est insupportable de se voir dégrader au niveau de toutes ces mondanités. Voilà pourquoi elles mettent une pression insupportable sur leurs maris qui jouent le jeu, parce que le jeu vaut aussi pour eux. C'est à l'aune du luxe étalé par leurs femmes qu'ils sont jugés. Par ailleurs, il est de leur devoir d'assurer un certain train de vie à leur famille. Cet engrenage est la rançon d'une société machiste et sexiste dont le fonctionnement se base sur une répartition des rôles assez traditionnelle, mais totalement artificielle et arbitraire si on y réfléchit cinq minutes. Hommes comme femmes se retrouvent esclaves d'un système et d'un engrenage qui les rendent dépendants les uns des autres, que ce soit financièrement ou moralement, et qui, par conséquent, tue tout sentiment humain entre eux : on ne peut s'aimer et se respecter si on est esclave l'un de l'autre.

C'est au nom de cette responsabilité et de cet esclavage que David Golder décidera de reprendre les affaires, alors que toute activité s'avère désormais mortelle pour lui. Joyce vient le voir, éplorée. Elle est obligée de rompre avec Alec, son amour. Elle doit épouser le richissime et répugnant vieillard Fishl si elle veut garder son train de vie… à moins que son vieux père ne la sauve de là, moyennant la reconstruction de son empire financier. C'est autant par amour et pitié pour sa fille que par rage de la voir se faire acheter par le tout-puissant Fishl (et donc par orgueil personnel d'homme riche) que David Golder reprendra du collier.

Cependant, je trouve qu'Irène Némirovsky ne traite pas les hommes et les femmes du même œil : elle est très dure avec les femmes, à la limite du machisme. On sent derrière le portrait acerbe qu'elle fait de Gloria (la femme de David) et de Joyce (sa fille), la féministe qui déteste ces femmes-parasites qui vivent sur le dos des hommes avec un cynisme et un égoïsme rarement atteints. Cependant, le portrait de David Golder est beaucoup plus humain : les deux femmes le tordent comme une serpillère, et finalement, il consent à être la proie de leur vanité. Il est malade, c'est un admirable self-made-man… Bref, il a beau être impitoyable en affaires, il a des circonstances atténuantes et Irène Némirovsky cherche à susciter la pitié et la compassion du lecteur à son égard. Ceci dit, comme je l'ai dit plus haut, les personnages sont tout à fait plausibles et parfaitement orchestrés par la romancière… Je n'irai donc pas plus loin dans une critique qui, trop poussée, s'avérerait infondée. 

Avec David Golder, Irène Némirovsky signe donc un premier roman en or sur le monde de l'argent et ses conséquences sur les rapports humains : si l'argent ne fait pas le bonheur, il y contribue, dit-on. Sans doute. Cependant, trop d'argent peut également compromettre les rapports humains, essentiels au bonheur des hommes et des femmes. Je ne suis pas convaincue que la famille Bettencourt soit le modèle du bonheur !



03/02/2012
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