LECTURES VAGABONDES

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Jean-Pierre Gattégno : Mortel transfert / Un peu mortel, un peu psychédélique.


                Si en ce moment, le mot PSY évoque le morceau plutôt amusant du Gangnan Style, d'une manière plus inquiétante, il renvoie habituellement aux désordres de l'esprit et à son lot de médecins ou de charlatans. Dans la rubrique « grosses foutaises », je demande la psychanalyse, et je suis servie par Jean-Pierre Gattégno et son roman : Mortel transfert, publié en 1997 aux éditions Calmann-Lévy.

                Michel est psychanalyste. Il voit, à ce titre, défiler sur son divan tout un lot de névrosés dont la mystérieuse Olga, une masochiste et cleptomane mariée à un type plutôt louche : Max. Michel s'endort fréquemment pendant les séances et un jour, en s'éveillant, il trouve Olga étranglée, morte, sur son divan. Effrayé, paniqué à l'idée d'être accusé de meurtre - d'autant plus qu'il a rêvé l'assassinat d'Olga et se demande s'il n'aurait pas pu commettre lui-même le meurtre dans un état de somnambulisme -  Michel cache le cadavre sous le divan et décide de le faire disparaître. Quelques jours plus tard, alors qu'il se rend chez Max, l'époux d'Olga, il est le témoin auditif du meurtre de ce dernier. Dès lors, les choses s'enveniment : Chapireau, le flic, soupçonne Michel du meurtre de Max. Comment notre homme s'en sortira-t-il ? D'autant plus que le cadavre d'Olga est encombrant...

                Mortel transfert est un roman policier à l'intrigue à la fois simple et compliquée. Un double meurtre, une grosse somme d'argent disparue, un cadavre encombrant qu'il faut faire disparaître : voilà donc les ingrédients de base, somme toute assez classiques pour un polar. Cependant, Gattégno ménage de nombreux rebondissements qui brouillent les pistes et compliquent l'ensemble : en effet, nombreux sont les personnages de l'entourage de Michel qui connaissaient Olga et qui ont tissé des relations ambigües et profondes avec elle ; et notre héros va les découvrir peu à peu. Ainsi, le roman se déploie comme une vaste toile d'araignée, un réseau à détisser qui remonte la vie d'Olga : le modèle de l'intrigue respecte donc le principe de la psychanalyste qui consiste à dénouer un passé compliqué.

Cependant, le résultat est un peu alambiqué et tient difficilement debout : Michel découvre en effet que son propre psychanalyste, Zlibovic, était également celui d'Olga, auparavant, et qu'il avait noué des relations affectives et financières compliquées avec le couple Max-Olga. Erostrate, le SDF que Michel croise souvent était également lié à elle par un secret. Quant à l'ex-femme de notre héros, Florence, elle fut la maîtresse de Max. Bref, Olga avait noué autour de Michel tout un réseau qui la relie également à l'entourage de ce dernier. Certaines relations n'aboutissent à rien, d'autres seront profiteuses à notre héros, aucune n'est véritablement malfaisante. Et voilà donc la limite du roman : l'ensemble est surtout destiné à ménager des pistes qui capotent et un dénouement facile. Ainsi, si les méandres de l'histoire permettent de nombreux rebondissements qui intriguent le lecteur, celui-ci est finalement déçu et ferme le roman avec l'impression qu'un éléphant vient d'accoucher d'une souris… une souris bien tarabiscotée, en outre. Quelques tours de passe-passe, et voilà Max, époux sadique assassinant sa femme grâce à un double de clés qui lui permet de pénétrer dans le cabinet de Michel endormi à ce moment-là… et rêvant le meurtre. Pourtant, il faut bien que notre héros soit disculpé de l'assassinat de Max : Zlibovic, en se suicidant, après avoir révélé à Michel toute l'histoire, laisse une lettre dans laquelle il s'accuse des deux meurtres. Plutôt facile et décevant.

                Cependant, le roman a des aspects très drôles. Tout d'abord, il comporte une satire de la psychanalyse et des psychanalystes, de vrais charlatans. Ils s'endorment pendant les séances, sont eux-mêmes totalement névrosés mais méprisent leurs patients dont ils oublient les noms et qui sont ainsi désignés par leurs troubles : la Prof de Maths, l'Ejaculateur Précoce, le Diamantaire… Et bien sûr, aboulez le fric en fin de séance ! En outre, tous ces messieurs de la psychanalyse se prennent très au sérieux et organisent des cercles freudiens ou lacaniens où il est question de nœuds borroméens et autres foutaises.   

                Par ailleurs, la partie où Michel est aux prises avec le cadavre est assez amusante également : Michel cache la dépouille d'Olga sous le divan où défilent, dans un premier temps, ses patients, puis il s'entiche du cadavre qu'il laisse mariner quelques jours dans son lit… avant de le transporter dans son coffre de voiture – qui, bien entendu, sera embouti, prêt à livrer son secret – et de le déposer dans une sépulture du Père-Lachaise où on fait de bien curieuses rencontres.

                Ainsi, Mortel transfert est-il un policier quelque peu farfelu, teinté d'un humour noir et pince-sans-rire qui fait sa saveur. On oublie bien vite la déception finale qui n'est provoquée que par le fait que Jean-Pierre Gattégno joue apparemment sérieusement avec les ficelles classiques du polar tout en les parodiant, dans le fond. On a donc entre les mains un condensé parodique de tous les trucs et astuces des mauvais polars. Quelle joie ! Avec toutes les séries américaines et françaises à la mode policière, ennuyeuses et prétentieuses à souhait, à base d'intrigues sans intérêt et de personnages mal définis, mal trempés, insipides, il y a de quoi faire dans la parodie ! Allons bon. Moi, j'en suis encore à Columbo et à Dallas - et tous les héros de mon adolescence, Larry Hagman, Peter Falk, Bernard Giraudeau, sont désormais six pieds sous terre ! Beh ! Peut-être suis-je un assassin mentaliste ? Quelle sera ma prochaine victime ? - Pfft ! C'est grave, docteur ?



09/03/2013
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