LECTURES VAGABONDES

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Jean Teulé : Le Montespan / le cocu magnifié.


A l'heure où Jean Teulé fait la promotion de son dernier roman, Charly 9 - roman que je vais lire très bientôt - j'ai eu envie de me plonger dans son avant-dernière œuvre - Le Montespan - parue en 2008 chez Julliard : d'autant plus que le tandem Naulleau-Zemmour ainsi que Laurent Ruquier (d'on n'est pas couché), émission du samedi soir sur france2) aiment beaucoup ce roman. C'est aussi mon cas.

Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan, épouse Françoise de Rochechouart de Mortemart, dite Mlle de Tonnay-Charente, 8 jours après l'avoir rencontrée. C'est que d'emblée, le jeune homme s'est passionnément épris de la jeune femme. Pendant quelques années, il va passer son temps à se refaire une fortune en partant à la guerre - peine perdue : c'est à chaque fois le désastre - mais aussi à trousser de manière fichtrement goulue sa femme, dont il est fou amoureux. Ensemble, ils auront deux enfants : Marie-Christine et Louis-Antoine. Bien sûr, Louis-Henri n'est pas sans savoir que lorsqu'il part pour une expédition guerrière, son épouse se rend à Versailles où elle semble être de mieux en mieux accueillie par le roi. Et puis, un jour, ce qui devait arriver arriva. La belle Françoise, désormais Athénaïs de Montespan, prend ses quartiers d'été et d'hiver au palais royal… Dès lors, Louis-Henri n'aura de cesse de clamer partout que le roi le fait cocu : il refait même ses armes en les ornant d'immenses bois de cerf. Partout, il est l'objet de la risée : il est « le cocu ». Par ailleurs, le roi voit d'un très mauvais œil le tapage que s'évertue à faire Louis-Henri autour de la liaison qu'il entretient avec la Montespan… Après tout, il est prêt à acheter très cher le silence et le consentement du mari. Mais rien n'y fait. Louis-Henri ne se tait pas. Commence alors pour lui une vie de persécutions, d'exil mais aussi de bravades et de provocations destinées à mettre en exergue les abus de pouvoir du roi.

Tout d'abord, j'ai été vivement étonnée du fait qu'après une centaine de pages sur trois cents qu'en compte ce roman, à la 101ème page, donc, le marquis de Montespan soit encore en train de filer le parfait amour avec sa femme, alors qu'en quatrième de couverture, l'œuvre de Teulé est présentée comme un hommage à « cet oublié de l'histoire – personnage hors du commun – qui, l'un des tout premiers, osa affronter à visage découvert le pouvoir absolu de son époque. » C'est dire si je m'attendais plutôt au récit d'une confrontation « impitoyable » entre le roi Louis XIV, amant de la Montespan et Louis-Henri de Montespan, marquis et mari cocu. Eh quoi ! Monsieur le rédacteur de la quatrième de couverture ! Vous trompez le chaland ! En réalité, ce qui intéresse Jean Teulé, ce n'est pas le Montespan-rebelle ; c'est le Montespan-amoureux. Ainsi, la problématique du roman serait plutôt celle-ci : jusqu'où l'amour peut-il déglinguer un homme ?  

Car si Jean Teulé prend le temps de bien dresser les amours des Montespan, s'il prend le temps de faire de la jeune Françoise-Athénaïs un portrait charmant et enjôleur… portrait dont on se demande à quoi il sert puisque lorsqu'au tiers du roman, elle quitte son mari pour Versailles, elle disparait… eh oui ! Le Montespan, c'est l'histoire du mari privé de sa bien-aimée épouse…. Donc, disais-je, si Jean Teulé prend le temps d'asseoir le couple Montespan dans le roman, c'est pour bien montrer à quel point le marquis est épris de sa femme, à quel point la fusion sensuelle opère sur lui, à quel point il ne pourra supporter l'absence de celle qui dès le début du roman est présentée comme une partenaire désignée, mais aussi une ennemie, une rivale.

Ensuite, dirais-je, ça coule de source : Jean Teulé raconte le désespoir et la quasi-folie dans laquelle la perte de sa bien-aimée plonge le marquis de Montespan. Désespoir, car chaque acte du marquis est destinée à Athénaïs et non au roi, comme tout le monde aime à le penser : lorsque Louis-Henri se promène à travers Paris dans un carrosse orné de bois de cerf, affichant haut et fort son état de mari cocu, il clame sa souffrance, il demande à son épouse de revenir auprès de lui. Oui, chaque acte du marquis est un appel désespéré à sa femme : « reviens » crie-t-il aux oreilles de tous, tout en espérant être entendu d'Athénaïs, qui est la seule qui compte pour lui.

 Quasi-folie également, car si le portrait de Françoise-Athénaïs est au départ tout à fait plaisant, l'ensemble se gâte par la suite. En effet, la jeune femme devient médisante envers celles et ceux qui sont bannis de la cour… puis elle disparait sans explication autre que : « c'est la volonté du roi ». Une volonté qui l'arrange, dirait-on… car la belle Athénaïs rêve de luxe et de plaisirs, choses que le marquis de Montespan ne sait lui offrir. Brader ainsi un amour pour de l'argent, du pouvoir : une femme amoureuse pourrait-elle supporter le sort infligé par le roi, son amant-forcé, à son époux, son amour naturel ? L'humiliation que ce dernier subit par sa faute , une femme amoureuse peut-elle l'accepter ? Oui, certes… mais alors, c'est qu'elle n'a jamais aimé personne… Cette femme est égoïste, elle a le cœur sec : voilà la conclusion à laquelle le lecteur se trouve très vite confronté. Alors pourquoi le marquis persiste-t-il dans ce qu'on peut appeler une idée fixe ? Tout être humain normalement constitué aurait cuvé sa disgrâce, son orgueil et sa rancune… et serait passé à autre chose, moyennant les prébendes accordées par le roi pour outrage fait à mari trompé. Mais pas Louis-Henri de Pardaillan… Il s'obstine, s'introduit à Versailles dans le but d'enlever sa femme, se compromet pendant un mois avec des prostituées dans le but d'attraper la petite vérole et de la fourguer à sa femme et au roi… encore faut-il qu'il parvienne à violer la marquise, son épouse. Bref, il se livre aux actes les plus extrêmes, les plus désespérés, les plus grotesques… l'amour a bon dos. Notre Pardaillan n'est-il point fou ? Monomaniaque ? Mais l'amour est aussi une folie, dira-t-on. Montespan est amoureux fou.  

Comme dans toutes les œuvres de Jean Teulé, on est confronté à l'ambiguïté, à la dualité des extrêmes : Montespan touche aux confins du sublime et du grotesque ; grotesque lorsque tout le monde se moque de lui, lors d'une représentation d'Amphitryon de Molière et que la cire du candélabre lui dégouline sur la perruque sans qu'il s'en aperçoive. Grotesque lorsqu'il est ivre, qu'il demande au concierge de revêtir la robe de mariée de sa femme… et qu'il finit par enculer ce pauvre Cartet ! (ici, je crains qu'on ne soit en plein dans les fantasmes de mauvais goût de Jean Teulé, m'enfin ! On rigole quand même bien !). Mais il est aussi sublime lorsqu'il clame son amour à sa femme, lorsque, se sachant atteint d'une maladie fatale, il refuse qu'elle revienne auprès de lui… il ne veut pas se dégrader aux yeux de celle qu'il a toujours aimée ! Sublime enfin, le final que lui réserve Teulé ! Alors que les chiens errants dévorent les tripes et le cœur de la Montespan, le vent hurle sur la tombe de son mari, mort avant elle, comme un ultime appel : il est celui qui sauve celle désormais tombée dans l'opprobre, celui qui la veut encore, malgré la vie, malgré la mort : il faut tout le talent d'un Jean Teulé pour parvenir à ce point à faire jaillir le romantisme le plus torturé de l'avanie la plus totale.

Pour terminer, un petit mot sur l'écriture de Teulé : en digne héritier de la bande dessinée, Jean Teulé gratifie le lecteur d'une écriture multicolore, pétrie de mots qui sentent bon le vieux français, même s'ils n'en sont pas… car point n'est besoin d'un dictionnaire pour lire du Teulé qui ne fait qu'utiliser des mots un peu désuets pour donner une couleur ancien-régime à son roman : gueux, vidanges, prébendes…

Et puis, il y a les thèmes qui parcourent l'œuvre : le sexe, assez débridé, pas du tout intellectualisé - comme aujourd'hui dans certaines œuvres pseudo-libertines – la bouffe ! Et pas de régime hypocalorique qui tienne ! Bref, de la sensualité un peu brute et brutale - qu'on associe d'ailleurs plutôt au moyen-âge -  il suffit finalement de bien peu pour faire revivre chez le lecteur du XXIème siècle assez aseptisé, assez robotisé, les vieux fantasmes liés à un passé supposé plus libertin, plus joyeux et plus insouciant… Il y a chez dans l'écriture de Teulé quelque chose de robuste et d'un peu rude, d'un peu vulgaire, mais qui est aussi l'inverse de toutes ces choses dans la minute qui suit, voire dans le même temps… une manière bien à lui de jouer avec les extrêmes tout le temps : la luxure, oui, mais pas sans amour…



24/04/2011
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