LECTURES VAGABONDES

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Lynda Barry : La fille du boucher / C’est pas une tuerie !


                Voulez-vous que je vous livre un de mes péchés mignons ? Je suis une mordue de films d’horreur (tant pis si les critiques cinéma ne tiennent pas ce genre en haute estime), particulièrement les slashers à l’atmosphère lourde, poisseuse, angoissante dans laquelle évolue un tueur sanguinaire et inquiétant qui traque ses proies dans l’ombre. Avec La fille du boucher, roman écrit par Lynda Barry en 1999 et paru en France en 2007 aux éditions du Panama, j’aurais dû être comblée ! Hélas, ce ne fut pas le cas.

                Roberta Rohbeson a 16 ans et vit dans une maison crade, située dans une ville crade du fin fond de l’Amérique. Cinq ans auparavant, elle a vécu le massacre du Lucky Chief Motel, dans le Nevada. Lorsqu’elle se lie avec une jeune fille de sa classe, Vicky Talluso, elle commence à raconter pour la première fois ce qui s’est passé.

                Roberta est la fille (ou presque) de Raymond Rohbeson qui aurait dû reprendre l’affaire familiale d’abattage et de débitage de bidoche. Mais le père de ce dernier, endetté, a préféré vendre la petite entreprise et laisser les trois valises pleines d’argent à qui de droit avant de se suicider. Raymond est furieux et décide de récupérer les valises qu’il estime être son héritage. Il embarque donc Roberta – qu’il appelle Clyde, car il aurait voulu un fils – dans un road-movie infernal et sanglant : il s’agit en effet de tuer les trois détenteurs des valises afin de les récupérer. Cependant, à la fin de l’odyssée, Roberta tue son père et cache les valises. Cinq ans plus tard, Roberta, Vicky et trois acolytes (Le Fil, La Tortue et Le grand Wesley) décident d’aller récupérer l’argent : cependant, les jeunes gens ne pensent qu’à se droguer et l’affaire tourne en jus de boudin… et puisque Roberta s’est balancée sous un train… le lecteur est invité à se rendre au Lucky Chief Motel pour récupérer un sacré magot !

                Le roman superpose deux intrigues ; tantôt nous sommes au présent : Roberta, Vicky et les autres passent leur temps à se droguer, à s’insulter, et finissent par décider d’aller récupérer les valises. Entre deux prises de Crispe ou autre biture, s’intercalent des chapitres consacrés au voyage sanglant de Raymond et de Roberta Rohbeson, également en quête des valises, cinq ans plus tôt.

                Si on veut du glauque, du poisseux, du crade, on est servi ! Quelque soit l’intrigue, le lecteur est plongé dans un décor hideux et sale, fait de décharges, de bâtiments abandonnés, de bicoques infréquentables. Le clou du spectacle : L’Assommoir, sorte de maison-boucherie où échouent Roberta et son père qui rêve d’y reconstruire l’entreprise familiale. Odeur pestilentielle, mouches en goguette, environnement sale et délabré où trainent des trucs pas ragoutants. Bicoque du style de celle où sévit la famille cannibale de Massacre à la tronçonneuse. Brr.

                Les personnages ? Ils sont tous totalement et perpétuellement murgés : leurs discussions sont violentes et pleines de menaces de mort… Menaces qui se concrétisent, la plupart du temps. Le père, ancien boucher, égorge sans scrupule les détenteurs des valises… plus quelques autres qui se trouvent sur son chemin : les égorgements, ça le connaît ! Qu’il s’agisse de vaches ou d’êtres humains, il semble bien que le père ne fasse pas trop de différence. La Roberta, en digne héritière de son père, met de temps à autre la main à la pâte : elle égorge un shérif qui en voulait un peu trop à ses fesses… et son propre père qui la frappe, l’insulte, la manipule. Bref, pas mal de carnage dans le roman… Quelle réjouissance !

Par ailleurs, l’écriture de Lynda Barry est à la hauteur de la noirceur de l’ensemble : écriture sans fioriture, brute de décoffrage qui traduit bien la brutalité de l’univers dépeint et des personnages.  Voici comment l’auteure campe Pammy, la sexy-lady de l’Assommoir que le père souhaite épouser afin de prendre possession des lieux et qu’il décide finalement d’égorger…

« Elle avait une dent de devant dévitalisée. Toute bleue. Et lorsqu’elle fit le tour du comptoir pour voir le père de plus près, je notai les énormes bourrelets de gras de son ventre qui débordaient sur un short en nylon rose et pendouillaient, comme si on l’avait dégonflée. Ses seins, pendouillaient eux aussi sous une blouse rose sans manches. Ses jambes nues étaient d’un blanc effroyable, et on devinait sous la peau des amas de veines nouées, bleu et vert moisi. Elle portait des sandales à brides avec des tristes petits nœuds flétris au niveau des doigts de pied. Elle faisait bouger sa dent morte avec son pouce et examinait chaque geste du père. »

Bref, avec La fille du boucher, on atteint un point de non retour niveau poisse glauque : Carved, Massacre à la tronçonneuse, Calvaire et Frontières réunis ! Et pourtant !

Et pourtant, peut-être bien que Lynda Barry en fait trop ! L’ensemble finit par saouler et s’avère être extrêmement ennuyeux : impression de faire du sur-place dans une intrigue où se répètent à l’infini les mêmes scènes de biture, de prise de drogue, d’engueulades creuses du style « je vais te la trouer, ta putain de peau », avec, de temps à autre - cerise sur le gâteau - un petit massacre bien sanglant, le tout dans un décor où s’accumulent les détails poisseux. Par ailleurs, l’histoire qui ne joue guère sur le suspense, mais uniquement sur l’ambiance n’offre donc qu’un intérêt limité à cette seule peinture de personnages violents, déjantés et murgés évoluant dans une atmosphère glauque et poisseuse.

Il me semble que l’intention de Lynda Barry, lorsqu’elle a écrit la fille du boucher, était d’aller aussi loin que possible dans le glauque : son pari est réussi… Le roman est assez trash. Cependant, sa lecture m’a ennuyée… Peut-être suis-je blasée par l’horreur ? Entre les différents Saw, Hostel, et autres détours mortels, je crois bien que j’ai fait le tour du genre. Si je frissonne encore lorsque je regarde Massacre à la tronçonneuse, ou le silence des agneaux, il m’est de plus en plus difficile de ressentir l’angoisse, même si j’adore toujours autant les slashers. Alors, on imagine bien à quel point il doit être difficile de transposer avec brio ce genre très visuel et cinématographique en genre littéraire et romanesque !



21/07/2012
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