LECTURES VAGABONDES

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Saphia Azzéddine : la Mecque-Phuket / petite virée en banlieue.


S’il me fallait choisir entre la Mecque ou Phuket comme destination de vacances, le choix serait vite fait ! Mais je ne suis pas musulmane ! C’est en effet de vacances dont parle Saphia Azzéddine lorsqu’elle a choisi d’intituler son roman : la Mecque-Phuket, paru en 2010 aux éditions Léo Scheer.

Cependant, la quasi-totalité du roman se déroule dans la banlieue nord de Paris.

La jeune Fairouz est étudiante en sociologie politique. Avec sa sœur, Kalsoum, elle souhaite offrir à ses parents un voyage à la Mecque afin qu’ils soient reconnus comme hadj (titre que porte celui qui a fait un pèlerinage à la Mecque et à Médine). Entre ses études et la vie de famille, Fairouz travaille chez une bourgeoise en tant que bonne à tout faire… Ce qui permet de faire petit à petit gonfler la cagnotte qu’elle a ouverte chez Monsieur Ourghidour, agent de voyage. Cependant, Fairouz observe le monde et n’est pas tout en osmose avec sa culture dans ce qu’elle a de traditionnel. Finalement, la cagnotte permettra aux deux jeunes filles de s’offrir des vacances à Phuket.

Il est clair que ce n’est pas dans l’intrigue que réside l’intérêt de ce roman, mais bien plutôt dans toutes ces tranches de vie d’une famille musulmane de banlieue et de tous les coups de gueule que pousse Saphia Azzéddine sur tel ou tel sujet.

D’abord, il y a la religion : on retrouve sur ce thème, les mêmes idées que dans confidences à Allah. Saphia Azzéddine refuse le Inch’Allah qui confine les musulmans dans le fatalisme et l’inaction… Se bouger, voilà sa devise. Il ne faut pas attendre d’Allah qu’il réalise les souhaits de tout un chacun. Par ailleurs, elle se moque également de l’aspect ennuyeux des prières, aimerait des célébrations plus funs.

Ensuite, on pénètre dans une famille musulmane traditionnelle. Saphia Azzéddine évoque avec tendresse les us et coutumes de la maison : la mère, toujours à faire du couscous, le père, toujours parti à je ne sais quelle réunion religieuse. Cependant, c’est d’une autre vie dont rêve Fairouz : elle ne supporte pas, par exemple, que sa mère défende un remariage sous prétexte que la première femme est stérile. Progressivement, dans sa tête, un autre voyage se profile.

Et puis des coups de gueule tous azimuts : la télévision occidentale ou orientale, la lourdeur de l’administration française…. L’école française, par exemple…

« Je regrettais qu’à l’école on ne m’ait pas plus parlé de ma culture, de ces auteurs qui l’ont marquée, de ces philosophes qui l’ont bouleversée. (….) peut-être que plein de trucs seraient différents si on nous valorisait un peu plus à l’école. A la place, on nous gavait de Voltaire et tout ce qu’on retenait c’était que lui aussi insultait les musulmans. Alors, on le détestait et on foutait le bordel. Enfin, pas moi, les autres, sinon mon père m’aurait lynchée ».

Ou encore les vacances organisées :

« Depuis que les vacances sont devenues une obligation sociale en Occident, des parents irresponsables et culpabilisés s’entassent en famille dans des charters cancéreux pour aller abîmer des pays de rêve. Des pays au bord du gouffre en réalité, qui encouragent le tourisme de masse, peu importe le désastre que ça provoque. Le Maghreb est particulièrement infesté de Joëls en famille qui goûtent le couscous mais se rabattent vite fait sur le buffet de l’hôtel avec de la bouffe plus sûre. Des croisières polluantes sur des bateaux crasseux, des thalassos répugnantes dans des hôtels de merde et une culture locale bafouée et toujours méconnue.»

Inutile de dire que la langue utilisée par Saphia Azzédine est extrêmement virulente, caustique, efficace… et drôle ! On en redemande !

De manière insidieuse, le roman pose aussi le problème de l’intégration des musulmans en France. Cependant, le propos de Saphia Azzéddine n’est absolument pas manichéen. Elle sait reconnaître la part de culpabilité des français qui aborde celui qui a une tronche de Rebeu avec, dans la tête, des tas d’aprioris, et celle des français d’origine maghrébine, avec leur sens du communautarisme.

Voilà donc un bon petit roman qui pose de bonnes questions et défend une position intégrée des musulmans à la fois fidèles à leur culture, mais en évolution par rapport à celle-ci, dépoussiérée de tous ses archaïsmes et de ses obligations sclérosantes : un roman optimiste, car oui, pour Saphia Azzéddine, l’intégration est possible : il suffit de le vouloir profondément.

 



28/01/2012
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