LECTURES VAGABONDES

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Vincent Delecroix : La chaussure sur le toit… La bonne pointure.


Voici une œuvre assez inclassable, à mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles, et en tout cas, éminemment originale et plaisante : La chaussure sur le toit, écrite par Vincent Delecroix et achevée à la villa Yourcenar en 2007. 

Le livre présente une succession de petites histoires mettant en jeu, pour chacune d'entre elles, des personnages différents. Cependant, ces derniers ont un point commun : ils habitent le même immeuble parisien situé à proximité de la gare du Nord et sont impliqués dans la présence d'une étrange chaussure qui traîne sur le toit. Ce sont-là les principaux liens – et les plus apparents - qui unissent les différentes histoires.

Cependant, de manière plus profonde, c'est sans doute la thématique générale de la solitude, de l'isolement, et de l'échec amoureux qui cimente cet ensemble qui s'ouvre habilement au cœur d'une famille très banale et sans histoire : papa, maman, un petit garçon et une petite fille. C'est la nuit et chacun s'isole au sein du sommeil. Mais la petite fille est éveillée car elle vient d'être témoin d'une scène extraordinaire : dépourvu d'ailes, un ange au visage triste vient de sauter du toit, abandonnant sa chaussure derrière lui. Elle confie son histoire, un grand secret, à son père qui, pressé d'aller se recoucher la rassure : tout ça n'est qu'un rêve.  Cependant, au moment où il jette un coup d'œil distrait à travers la fenêtre de la cuisine, il aperçoit, éberlué, une chaussure abandonnée sur le toit de l'immeuble voisin.

Ainsi, le ton est-il donné - entre rêve et réalité - ce qui permet à Vincent Delecroix de s'essayer à de nombreuses variations au niveau des registres d'écriture possibles. Qui a donc laissé cette chaussure sur le toit ?  s'ensuivent plusieurs histoires écrites chacune dans un registre bien particulier : tantôt lyrique, tantôt réaliste, tantôt pathétique, tantôt tragique… avec, souvent, mêlé au registre principal, un registre secondaire invariable : l'humour et l'ironie. 

C'est ainsi que l'on fait connaissance avec ce mystérieux cambrioleur qui n'est finalement que l'ex-petit ami de la locataire de l'appartement visité et qui, dans un geste de dépit amoureux jette la chaussure de son remplaçant sur le toit de l'immeuble voisin. Ensuite vient une jeune femme noire, amoureuse d'une sans-papier qui s'enfuit de chez elle par la fenêtre, tandis qu'il perd sa chaussure sur le toit. Et ainsi de suite…

Dans chaque histoire, il est question de désespoir amoureux, de solitude insupportable… que l'on exprime par ce geste, à la fois insolite, personnel et universel (selon Delecroix) : se départir d'une chaussure, balancée sur un toit dans un geste rageur ou désespéré : deux ou trois histoires nous mettent face à des artistes, philosophes, écrivains, plus ou moins ratés, puisque tout le monde se fiche de ce qu'ils ont à dire… Pauvres intellectuels, donc ! Pauvres amoureux également. Les hommes et les femmes qui aiment sont séparés, fuient leur bonheur, se fourvoient dans des rêves impossibles…. Ils aiment mal et sont mal aimés.

Tous les personnages sont seuls, inutiles, dérisoires à l'image de la chaussure dépareillée qu'ils balancent ou perdent sur le toit comme une métaphore d'eux-mêmes. Cependant, celui qui va jusqu'au bout de cette symbolique est sans doute le narrateur, celui que l'on découvre dans la dernière histoire…  lui, il va là où l'on ne marche pas, habituellement, là où les autres ne sont pas allés : il s'avance sur le toit pour en sauter, tel un ange. Ce dernier se présente comme une sorte de Jésus-Christ rédempteur qui veut prendre sur ses épaules, non pas tous les péchés du monde, mais toute sa solitude. Il l'emporte avec lui, avant de se jeter dans le vide, abandonnant sa chaussure comme rappel de toutes celles qui l'y ont précédé et ce, sous les yeux de la petite fille : c'est ainsi que la boucle se referme.

Ainsi, sous des aspects souvent fantaisistes, oniriques ou humoristiques la chaussure sur le toit offre une image noire et désespérée de la vie… pour un ensemble finalement et malheureusement assez réaliste. Mais ne pensons pas aux tristesses des toits d'immeubles en cette belle période estivale,  et balançons plutôt nos deux chaussures pour marcher au hasard, les pieds nus, libres…sans contrainte…

 



19/08/2009
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