LECTURES VAGABONDES

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Alberto Moravia : L’ennui/Loin de l’ennui

     

  Voici un roman au titre risqué. Car qui aurait envie de se lancer dans une lecture qui promettrait des heures d’ennui ? C’est pourtant le titre qu’Alberto Moravia a choisi pour ce roman - L’ennui – roman que Moravia a écrit en 1961 et qui paraît en France en 1986 aux éditions Flammarion.

 

          Dino, artiste peintre issu d’une riche famille romaine, s’ennuie. D’ailleurs, il est victime du syndrome de la toile blanche et a décidé de ne plus peindre. Cependant, à la mort de son voisin Balestrieri, peintre lui aussi, il fait la connaissance de la jeune maitresse de ce dernier, Cécilia. Très vite, une liaison charnelle les réunit. Cependant, Dino continue de s’ennuyer – il définit l’ennui comme l’indifférence : l’incapacité d’établir une relation avec Cécilia qu’il considère comme une chose. C’est alors qu’il décide de rompre avec elle. Mais, alors que tout est décidé, Cécilia ne vient pas au rendez-vous fixé. Par ailleurs, il l’aperçoit dans la rue en position équivoque avec un homme. Des sentiments ambigus se développent alors en Dino puisqu’il souffre à l’idée que Cécilia lui échappe. C’est alors qu’il se lance dans une frénésie sexuelle destinée à se convaincre qu’il possède Cécilia. Mais c’est un échec. Toujours plus obsédé par l’idée de la posséder, par l’idée de retrouver cette sensation d’ennui auprès d’elle, sensation qui lui permettrait de se défaire d’elle, de retrouver sa liberté, toujours plus obsédé par l’idée qu’elle lui échappe, il décide de la suivre pour savoir si oui ou non, elle le trompe avec cet acteur qui, dit-elle, n’est qu’un ami et se nomme Luciani. Dino songe même à faire appel à un professionnel. Mais finalement, et parce qu’il soumet Cécilia à des interrogatoires sans fin, elle lui avoue que Luciani est son amant et qu’elle l’aime autant qu’elle l’aime, lui, Dino. Désespéré, Dino se dit que peut-être avec de l’argent, il aurait la sensation de la posséder. Alors, il se met à lui donner des sommes faramineuses lorsqu’il couche avec elle. Il se voit contraint de renouer avec sa mère qui détient beaucoup d’argent. Mais parce qu’en payant Cécilia comme une prostituée, il ne parvient pas à son but, Dino décide de la demander en mariage afin qu’elle devienne une bourgeoise sans mystère, sa femme à lui. La jeune fille hésite, semble tentée par la proposition d’autant plus que Dino lui fait miroiter une vie aisée et agréable car le couple irait alors vivre dans la grande maison bourgeoise de la mère. Finalement, Cécilia refuse car elle aime Luciani – néanmoins marié – et parce qu’ensemble, ils doivent aller en vacances à Ponza. Fou de douleur, Dino tente de se suicider en lançant sa voiture sur un arbre. Il en réchappe et, à l’hôpital, il décide d’accepter les zones de mystère de Cécilia et de l’aimer telle qu’elle.

 

          Comme souvent chez Moravia, L’ennui sonde l’âme d’un personnage tourmenté. Dino est d’abord tourmenté par l’ennui qu’il définit de manière personnelle comme un état qui le retranche du reste du monde : il ne sait plus établir de rapport avec les choses et les êtres qui l’entourent. Tout  l’indiffère, donc, tout l’ennuie. Il se rapproche, en cela, d’un des personnages d’un roman du même Moravia, Michel -  Les indifférents.

           Puis, Dino est aussi victime de l’amour, car il faut bien appeler ainsi ce qui lui arrive quand il se rend compte que Cécilia lui échappe. Il devient obsédé par elle et, graduellement, pour se défaire de cet esclavage, va s’adonner aux comportements les plus étranges et les plus aliénants. Il décide en effet, de suivre en douce la jeune femme, ou lui propose de l’argent avant d’avoir un rapport sexuel avec elle. Ceci peut paraître paradoxal en ce qui concerne Dino puisqu’au début du roman, il s’inscrit comme étant en rupture avec son milieu social très aisé. Il refuse l’argent et l’esprit bourgeois qui le caractérisent. A ce titre, il refuse de vivre auprès de sa mère qui pourtant le souhaite ardemment. Pour enfin pouvoir posséder – croit-il - Cécilia, il est prêt à renouer avec cette classe sociale honnie et devenir prisonnier de celle-ci et de ses valeurs. Autrement dit, il veut se libérer de certains fers pour tomber dans d’autres.

          Autre paradoxe : il propose à Cécilia de l’épouser. Il est donc prêt à s’enfermer pour toujours dans l’institution du mariage pour se défaire de l’amour.

          Par ailleurs, la folie de Dino est aussi sensible dans les interrogatoires qu’il impose à Cécilia. C’est alors qu’on se rend compte de l’étrangeté de la jeune fille. En effet, celle-ci est toujours appréhendée selon le point de vue de Dino, donc, d’un point de vue à la fois interne et externe. On entre dans l’âme d’un homme qui ne parvient pas à posséder une femme et pour qui cette dernière reste mystérieuse. Il est vrai que la jeune fille répond à Dino de manière laconique. Parfois, elle ment. Souvent, elle ne sait pas quoi dire, répond que puisqu’elle n’a jamais vécu la situation, elle ne peut savoir.  Paradoxalement, cette attitude qui horripile Dino, qui met celle-ci sur le compte du fait que sa maitresse est un être peu intellectualisé, cette attitude, donc, Dino l’adopte à la fin du roman : il se dit « qu’il faut voir, qu’il n’a jamais encore eu telle expérience, donc qu’il ne sait pas ». Tout ce qui l’énervait chez sa maîtresse, il finit par y succomber. Et lui qui refusait de ressembler à Balestrieri, finit par être son double ; ce dernier a en effet fait suivre Cécilia, l’a payée, est mort d’amour, terrassé par une crise cardiaque peu de temps après avoir couché avec elle.  

          Si L’ennui est un roman psychologique qui explore les thèmes de l’incommunicabilité des êtres et le leurre du sexe comme moyen de posséder l’autre, il a aussi une dimension sociale. Cécilia vient d’une classe sociale modeste qui ne comprend pas pourquoi les bourgeois et l’aristocratie, classe oisive qui a tout à sa disposition, qui mène une vie facile, se permet encore de s’ennuyer. Cécilia ne possède rien et semble se satisfaire de son sort. D’ailleurs, elle fait passer le plaisir du moment présent avant le reste et refuse de céder à la promesse d’une vie dorée.

          Alors, certes, je conçois que ce roman basé sur l’introspection peut ennuyer tous ceux qui aiment de l’action et de l’aventure. Mais pour ma part, il m’a bien plu et je suis prête à continuer d’explorer l’œuvre de Moravia.



09/07/2023
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