LECTURES VAGABONDES

          Après Mélodie de Vienne, nous retrouvons Ernst Lothar, toujours à Vienne, avec ce roman – Revenir à Vienne - qu’il a écrit en 1949 et qui a été publié en France en 2019 aux éditions Liana Levi. 

          Félix Von Geldern a dû quitter Vienne en 38 à cause de la menace nazie. Il a émigré aux Etats-Unis et est devenu citoyen américain. Il est tombé amoureux de Livia Fox et songe à l’épouser. Mais alors que le IIIème Reich est déchu, il décide de retourner à Vienne sur décision familiale afin de s’assurer que les affaires laissées aux mains de collaborateurs tiennent encore debout. C’est en compagnie de sa grand-mère Viktoria qu’il fait le voyage. Cependant, c’est une ville ruinée qu’il retrouve. Il est convoqué au tribunal comme témoin au procès du ministre Kurtz avec lequel il a travaillé avant la guerre. Ce dernier est accusé d’avoir facilité l’intrusion d’Hitler en Autriche, en 38. A sa grande surprise, Félix est mal vu par les juges qui lui reprochent d’avoir quitté le navire au moment où tout allait mal, de ne pas s’être opposé à Kurtz et de revenir maintenant en Autriche pour faire la morale à ceux qui sont restés. Autre grande surprise : il retrouve son grand amour d’avant la guerre, une femme nommée Gertrud, chanteuse lyrique, qu’il croyait morte. Aussitôt, les sentiments reprennent leurs droits et Félix et Gertrud décident de se marier. Cependant, de sombres rumeurs accablent la jeune femme : elle aurait eu une liaison avec Goebbels. Félix fait fi de ces accusations et le mariage est bientôt célébré. La cérémonie est perturbée par des déportés et le couple trouve refuge chez une chanteuse lyrique amie de Gertrud : Steffi Huber. Malheureusement, Félix trouve dans la chambre une photo de Gertrud et de Goebbels qui ne laisse aucun doute dans son esprit : sa femme a pactisé avec le nazisme. Eplorée par la scène qui suit et convaincue que son mari lui reprochera toujours son passé, Gertrud se suicide au gaz. Accablé, Félix décide de rentrer aux Etats-Unis. Mais c’est alors qu’il est bloqué par les américains qui occupent l’Autriche. Ces derniers lui reprochent d’être un bien mauvais citoyen américain. Lorsque l’affaire se tasse, on lui propose de devenir professeur de droit à l’université de Vienne mais le contact avec les étudiants s’avère difficile, toujours pour les mêmes raisons. Alors Felix rentre aux Etats-Unis et retrouve sa première fiancée, Livia, désormais amoureuse d’un autre. Peu à peu, Felix ressent le manque de l’Autriche. Après la mort de sa grand-mère Viktoria, l’envie de retourner à Vienne se fait de plus en plus pressante. C’est sur cette quasi-certitude d’un retour dans la capitale européenne que se termine le roman.

          Avec Revenir à Vienne, Ernst Lothar signe un roman sur l’exil et la dépossession des racines patriotiques. Felix, en 1938, fut plus ou moins forcé d’émigrer aux Etats-Unis à cause de la crise qui sévit en Autriche à cette époque : Hitler, on le sait, a instauré une dictature violente qui se manifeste, entre autres, par la persécution des juifs. Pourtant, Felix ressent toujours et encore la nostalgie de son pays natal.

          Ce déchirement se concrétise à travers deux amours ; le premier, il l’éprouve pour une américaine, Livia. Mais celui-ci sera bien vite balayé lorsque, de retour en Autriche, il retrouve son premier grand amour : Gertrud.

          En réalité, de retour à Vienne, Felix se retrouve face à un pays qu’il ne reconnait pas mais qu’il voudrait tant reconnaitre qu’il se console lorsqu’une petite émotion venant tout droit du passé s’impose à lui, parce qu’il a reconnu un petit bout de rue ou une façade. En vérité, il est bien plutôt entouré de ruines qui défigurent la ville. Ainsi se retrouve-t-il face à une ville qui a changé physiquement, mais aussi psychologiquement car Hitler et les nazis sont passés par là. Ceux qui ont émigré vers les USA sont désormais frappés de suspicion. En effet, Felix est soupçonné d’avoir facilité les plans de Schuschnigg et de Dollfuss qui visaient à favoriser l’anschluss avec l’Allemagne. Il est vrai qu’à l’époque, Felix travaillait pour eux. On l’accuse aussi d’avoir quitté le navire quand tout allait mal et de revenir aujourd’hui faire la morale à l’Autriche. Ainsi, Felix ne trouve-t-il plus sa place dans ce pays qui l’a vu naitre et qu’il aime tant.

          Cette période pendant laquelle Felix a vécu aux USA parasite aussi son histoire d’amour avec Gertrud : la jeune femme est en effet soupçonnée d’avoir eu une liaison avec Goebbels. De plus, pour favoriser sa carrière de chanteuse lyrique, elle se serait produite devant des nazis. Ces calomnies – qui ont sans doute raison d’être – sont trop lourdes à porter pour cette femme finalement fragile. De plus, elle craint que qu’une fois ces révélations parvenues aux oreilles de son époux Felix, celui-ci finisse par ne plus l’aimer et lui reproche ce passé trouble. Voilà pourquoi elle se suicide au gaz.

          Mais si le retour de Felix à Vienne s’est avéré si compliqué et si douloureux, quid de se qui se passera lorsqu’il retournera aux USA ? Là aussi, il est désormais accusé d’être un mauvais américain par les américains eux-mêmes, car il déclare préférer l’Autriche. Felix n’a donc plus de patrie, plus de place nulle part. Mais Felix est bien déterminé à se battre pour retrouver sa place à Vienne.

          Avec Revenir à Vienne, Ernst Lothar aborde un sujet délicat, très peu traité dans la littérature : la difficulté de retrouver ses racines dans un monde bouleversé. On aurait pu croire qu’après la fin de la guerre, tout serait joyeux et facile. Il n’en est rien et longtemps encore les séquelles du nazisme empoisonneront la vie de ceux qui l’ont subi de près ou de loin.