LECTURES VAGABONDES

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Eshkol Nevo : Trois étages / Plus que trois fois oui

     

    Il est plus que temps de replonger au cœur d’Israël, dans ces immeubles qui poussent aux alentours de Tel Aviv, en compagnie du grand Eskol Nevo. Après le coup de cœur suscité par la lecture de Quatre maisons et un exil, je vous emmène dans Trois étages qu’Eshkol Nevo écrit en 2015 et qui parait en 2018 aux éditions Gallimard.

 

Premier étage : Arnon est dans la panade et il se confie à son frère. Marié à Ayélet, père de deux petites filles – Ofri et Yaéli – il vit au premier étage d’un immeuble situé aux abords de Tel Aviv. Parce que l’état de santé de Yaéli l’oblige à passer des nuits à l’hôpital, ses parents confient sa sœur, Ofri, aux voisins, un couple d’allemands : Ruth et Herman. Cependant, Herman a tendance à perdre un peu la tête et un jour, il disparait avec l’enfant. Arnon les retrouve dans un verger ; Herman a posé sa tête sur la cuisse de la petite fille. Arnon soupçonne Herman d’avoir soumis sa fille à des attouchements sexuels, mais ni l’un ni l’autre ne semble avoir envie d’en parler. Pourtant, Arnon en est sûr, Herman a un regard étrange, voilà pourquoi il moleste le vieil homme qui doit être hospitalisé. Mais plus le temps passe, plus les convictions d’Arnon se renforcent, d’autant plus que la petite Ofri a des attitudes étranges : elle ne veut plus jouer avec ses copines à la récréation, elle parle très peu et fait pipi au lit. Arnon ira jusqu’à tenter d’étrangler le vieil Herman lorsqu’il va lui rendre visite à l’hôpital. Un jour, la petite fille d’Arnon, Carine, débarque. C’est une adolescente aguicheuse et elle lie connaissance avec Arnon. Ils sortent ensemble assez souvent et la jeune fille parle à Arnon de son grand-père, lui confie qu’elle le trouve bizarre, que son état de santé s’aggrave. Et ce qui devait arriver arriva : Carine fait des avances très ouvertes à Arnon qui ne sait pas résister à la tentation. Il découvre que, malgré toutes les liaisons qu’elle raconte avoir eues, Carine est vierge. De toutes manières, Arnon n’entend pas avoir une liaison suivie avec la jeune fille. C’est alors que le vieil Herman décède. En même temps, Ofri semble retrouver un comportement normal. Certes, Arnon aimerait savoir ce qui s’est passé dans le verger, mais désormais, c’est chose impossible. Cependant, il est très inquiet car Carine semble vouloir raconter à Ayélet, la femme d’Arnon, l’aventure qu’elle a eue avec son mari.

Deuxième étage : Hani vit au second étage du même immeuble qu’Arnon. Elle est mariée à Assaf et a deux enfants : Lira et Nimrod… et l’amie imaginaire de Lira : Andréa. Elle écrit à son amie Néta ; une longue lettre étrange qui ressemble davantage à une confession orale, avec des pauses, des digressions. En effet, cette lettre qu’elle dit écrire est truffée de souvenirs d’enfance, d’école… de nombreux moments qu’elle a partagés avec Néta, sa seule amie. Elle rappelle aussi le souvenir d’une autre amie, décédée, une amie prénommée Nomi. Pour l’heure, ce qui importe à Hani, c’est de confier à son amie son tourment présent : son mari, Assaf, est souvent absent pour son travail ; par ailleurs, elle est assez déçue par son comportement de père qu’elle trouve trop froid. Assaf, rétorquerait que c’est elle qui cantonne ses enfants loin de lui par son attitude de mère possessive. Un jour, son beau-frère Eviatar – brouillé avec son mari Assaf – sonne à la porte de son appartement. Il est en cavale car il a escroqué ses clients auxquels il doit de l’argent qu’il n’a pas. Hani accepte de l’héberger et de le cacher. Contrairement à Assaf, tonton Eviatar se montre tendre et attentif avec les enfants d’Hani qui l’adoptent aussitôt. Mais des hommes viennent bientôt sonner à la porte : ils cherchent Eviatar au sujet de la question de l’argent qu’il leur doit. Hani cache donc son beau-frère chez les voisins qui sont absents et lui confie les clefs de leur appartement. Bientôt, Eviatar avoue à Hani le désir qu’il a toujours eu d’elle, il lui raconte comment il lui ferait l’amour. Cependant, les choses ne peuvent aller plus loin. Eviatar s’envole pour le Vénézuela où il sera plus en sécurité. Assaf rentre à la maison et ne saura rien de la visite de son frère. Peu à peu, le doute s’instille dans l’esprit du lecteur : et si toute cette histoire d’amour platonique avec Eviatar n’était que pur fantasme ? Et si Néta était une amie imaginaire, comme Andréa peut l’être pour Liri ? Après tout, la mère d’Hani fut internée et Hani a d’étranges relations avec les chouettes qu’elle voit parfois dehors… mais tout ceci est encore peut-être le fruit de son imagination, de ses affabulations, de ses fantasmes. A la fin de ce chapitre, nous ne savons plus ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

Troisième étage : Au troisième étage vit Déborah, une juge à la retraite. Elle enregistre des cassettes dans lesquelles elle raconte sa vie à son mari. Or, son mari, Michaël, est décédé des suites d’une longue maladie et son fils, Adar, a rompu avec ses parents depuis de nombreuses années. Un drame est à l’origine de cette brouille. Un jour qu’il conduisait en état d’ivresse, Adar a renversé et tué une femme enceinte. Ses parents, travaillant tous deux dans le domaine de la justice, ont cependant refusé d’aider le jeune homme qui devra purger sa peine de prison. Ce désaccord a entrainé une bagarre entre Adar et son père. Depuis, Adar n’a plus donné signe de vie et n’est même pas venu aux funérailles de son père. Déborah, qui vit dans la solitude depuis trop longtemps, décide de sortir et de se mêler aux manifestations contre les prix trop élevés du logement, manifestations qui ont lieu à Tel Aviv. Certes, elle tente de rallier ses voisins d’immeuble, mais tous ont autre chose à faire. Elle se retrouve donc à Tel Aviv où elle est victime d’un malaise. Elle est prise en charge par un groupe de psychologues qui ont une tente sur le boulevard où se déroulent les manifestations. Pour se retaper, on l’emmène chez un certain Avner Ashdot qui lui permet de prendre une douche chez lui. Dans son désir de changer de vie et de s’ouvrir aux autres, Déborah décide de vendre son appartement et d’un prendre un autre à Tel Aviv-même. Avner Ashdot décide de l’aider : il lui fait visiter un bel appartement qu’il vend à bas prix contre la promesse d’héberger un étudiant. Elle accepte. Déborah se sent à l’aise avec Avner et se confie à lui. Il faut dire qu’ils ont des points communs : Avner est séparé de sa femme et est plus ou moins brouillé avec sa fille. Cependant, un jour, il décide d’emmener Déborah chez sa fille, Assia, qui est mariée… avec Adar. Ils ont un fils : Benjamin. Si Déborah n’apprécie pas cette surprise, elle tente néanmoins de renouer avec son fils et craque pour son petit-fils. Bientôt, elle emménage à tel Aviv, entame une liaison avec Avner, tandis que la réconciliation avec Adar semble être bien partie.

 

          Trois étages peut presque se lire comme un recueil de nouvelles. Certes les trois histoires ont des points communs : toutes proposent des personnages qui, tout en vivant dans un immeuble où s’agrègent plusieurs existences, souffrent d’isolement et de solitude. Nos trois personnages ont aussi la particularité de parler à des êtres qui sont loin, inaccessibles. L’un est un frère qui vit loin, l’autre est une amie imaginaire, le dernier est un époux défunt. Ainsi, l’absence de communication entre les êtres est le premier thème de ce roman puisque ces trois étages ne communiquent pas vraiment. Voilà pourquoi les histoires de ces trois existences peuvent se lire comme trois nouvelles.  

          Par ailleurs, nos trois héros ont aussi une âme tourmentée ; ils sont à la limite de la folie. C’est en tout cas vrai pour les deux premières. Mais dans la dernière histoire, l’auteur établit une relation entre le ça, le moi et le surmoi freudien et les trois étages de l’immeuble où vivent les personnages. Ainsi, de la même manière qu’il existe des cloisons et des étages entre ces trois existences, ils sont aussi verrouillés dans des problèmes psychologiques à base de conflits, de paranoïa, et autres tourments.  

          Certes, j’ai préféré Quatre maison et un exil du même Eskhol Nevo. On trouve d’ailleurs des points communs entre les deux œuvres, notamment le thème de l’immeuble et du voisinage. Mais Quatre maisons et un exil est un roman plus dense et plus émouvant, relié à la problématique d’Israël : le conflit entre juifs et arabes y est abordé avec une hauteur de vue remarquable. Ici, on est davantage cloitré avec les personnages dans leurs tourments et entre leurs quatre murs. Seule la troisième histoire nous emmène au cœur de Tel Aviv, ville en ébullition, agitée par des revendications sociales.

Bien évidemment, je vais poursuivre la découverte de l’œuvre d’Eskhol Nevo. Neuland sera ma prochaine lecture.



10/09/2023
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