LECTURES VAGABONDES

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Harold Cobert : Belle-Amie / Belle, belle, belle comme cette amie

     

       Il faut sans doute être assez culotté pour proposer une suite au chef d’œuvre de Guy de Maupassant intitulé Bel-Ami. Pourtant, Harold Cobert l’a fait ! Le roman qu’il fait paraître à ce sujet s’intitule Belle-Amie et parait en 2019 aux éditions Les Escales.  

 

          Voilà 10 ans que Georges Du Roy de Cantel est marié avec Suzanne Walter, la fille du patron du journal où il travaille : La vie française. Désormais, il travaille activement à son élection à la députation ; pour ce faire, il fait campagne en Normandie, sa région natale. Il a l’appui d’un député particulièrement féroce – Léon Clément - réputé pour renverser les gouvernements du haut de la tribune du parlement. Son adversaire, c’est Georges de la Barre, un bonapartiste qui accuse Du Roy de connivence avec l’ennemi juif via le mariage qu’il a contracté avec Suzanne Walter. Lors d’une réception, George Du Roy fait connaissance d’un certain Siegfried de Latour, un financier qui lui propose son aide. En effet, il détient des preuves de l’accointance de De La Barre avec les juifs au niveau de ses affaires. Du Roy retourne donc contre son adversaire les accusations que ce dernier a proféré à son intention et remporte la députation. Cependant, cette mission l’ennuie et désormais, il souhaite devenir ministre. Avec l’aide de Léon Clément, il renverse le gouvernement en place en faisant éclater un scandale moral lié à l’attribution de la légion d’honneur : certains de ces colifichets auraient été monnayés. Georges devient donc ministre des finances ; entre temps, il a rencontré une femme mystérieuse, cousine et intermédiaire de Siegfried de Latour : Salomé. Cette femme le subjugue et de temps à autre, elle le convie à des activités physiques un peu chaudes au cours desquelles il a les yeux bandés. Lors d’un entretien privé dans sa demeure des Landes, Siegfried de Latour demande à Geroges Du Roy une faveur : celle d’appuyer auprès du gouvernement le projet de Lesseps concernant la construction d’un canal au Nicaragua ; pour ce faire, il convient de faire voter une loi qui permettrait le financement du projet. Georges Du Roy reçoit ainsi une somme conséquente de la part de De Latour pour graisser la patte d’un certain nombre d’élus (députés, sénateurs) afin de faire passer la loi. Du Roy s’exécute. Malheureusement, l’affaire tourne mal : le projet n’est pas viable, et la multitude de ceux qui ont investi de l’argent dans des obligations permises par la loi se retrouvent ruinés. La colère gronde et dans les journaux, notamment au journal La Plume où Madeleine Forestier signe des articles sous un pseudonyme ; Georges y est attaqué avec virulence. Par ailleurs, un certain Maupassant publie un feuilleton dans lequel notre ministre se reconnait. De son côté, Suzanne, qui milite pour les droits des femmes, organise une vente aux enchères pour récolter des fonds : la manifestation s’envenime lorsque débarquent de nulle part des épargnants ruinés qui saccagent les appartements. Ainsi, très vite, le gouvernement est renversé.Cependant, Georges parvient à se recaser dans un ministère de seconde main. Siegfried de Latour propose alors à Du Roy de défendre l’idée d’un rachat par l’Etat de la dette générée par la faillite du projet du canal du Nicaragua, ce qui suscite des dissensions car nombreux sont ceux qui sont opposés à l’idée que l’Etat doive supporter les faillites privées. Craignant d’être démasqué et poursuivi pour avoir touché des pots de vin, et sur le conseil de Siegfried de Latour, Georges Du Roy transfère de grosses sommes d’argent vers le compte de son épouse et change le régime de leur contrat de mariage. Cependant, tant qu’il est protégé par l’immunité parlementaire, l’égoïste Du Roy ne s’en fait pas trop. Mais un événement perturbant va bientôt renverser totalement sa situation. En effet, Salomé convie notre libertin à une énième partie fine masquée. Mais alors qu’il est attaché, nu, sur le lit, entre un officier de police qui constate l’adultère. Puis entrent les femmes qui se sont alliées pour renverser Georges qui découvre que Siegfried de Latour et Salomé ne sont qu’une seule et même personne : Laurine, la fille de sa défunte maîtresse Clotilde de Marelle (on apprend au début du roman qu’elle est morte de chagrin suite au comportement cruel de son amant), bien décidée à venger la mort de sa mère.  Laurine a été aidée par Madeleine Forestier - qui deviendra directrice de La vie Française - par Suzanne et sa mère qui deviennent riches tandis que Georges est ruiné. Lorsque Laurine rend publics les documents compromettant les ministres et les députés dans l’affaire du canal du Nicaragua, Léon Clément, le député intègre, achève Georges dans la tribune de l’assemblée nationale. Georges sort menotté du palais Bourbon et peut ainsi considérer à rebours son parcours depuis l’église de La Madeleine, église dans laquelle il a épousé Suzanne.

 

          Avec Belle-Amie, Harold Cobert nous a concocté un roman délicieux et très malin et ce, pour plusieurs raisons.

          Tout d’abord, l’auteur met ses pas dans les traces du grand Guy de Maupassant. En effet, il n’hésite pas à reprendre des bribes de phrase ou même des phrases entières qu’on peut lire dans Bel-Ami. Par exemple, on retrouve au début du roman, un Du Roy qui déambule dans Paris et à la fin, un Du Roy qui observe à rebours son parcours et les scènes reprennent mots pour mots le texte de Maupassant. Autre exemple, à de nombreuses reprises, on retrouve le toc de Georges Du Roy  qu’on connait bien : il se regarde dans la glace en frisant ses moustaches et en bombant le torse.

          Ainsi, j’ai adoré le jeu avec l’œuvre de Maupassant qui ne se limite pas à Bel-Ami. Par exemple, un passage fait penser au Horla, lorsqu’après l’humiliation de Du Roy dans cette chambre où trois femmes se sont réunies pour le défaire, notre héros fait une crise de folie qui débouche sur un dédoublement de sa personnalité. Enfin, Harold Cobert fait vivre Maupassant dans son roman. Il est l’amant de Madeleine et écrit dans La Plume… Il est donc une sorte de Bel-Ami et à ce titre, il met ses pas dans ceux de son personnage. Pour poursuivre sur ce sujet, j’évoquerai aussi la mise en abyme du roman Bel-Ami qui devient un roman-feuilleton publié dans les journaux, roman-feuilleton librement inspiré de la vie de Georges Du Roy.

          Enfin, je soulignerai également le clin d’œil que fait Harold Cobert à d’autres œuvres du XIXème siècle. Par exemple, la fin de Le père Goriot apparait lorsque Du Roy admire « Paris tortueusement couché », tel un ambitieux Rastignac avide de réussite.

          Pour terminer sur ce sujet, je remarquerai enfin que certaines scènes du roman reprennent en les inversant, des scènes du roman de Maupassant. Ainsi, on retrouve la scène où le policier vient constater l’adultère de Du Roy, scène qui reprend celle de Bel-Ami où le même personnage fait surprendre Madeleine et son amant par la police afin d’obtenir le divorce d’avec cette dernière et d’épouser Suzanne Walter.

          Mais assez de toutes ces remarques formelles ! Il faut dire que le jeu de Cobert avec les différentes dimensions de Maupassant et de son œuvre donne le vertige !

          Sur le fond, Belle-Amie propose une intrigue qui mêle le journalisme, les milieux d’affaires et les milieux politiques avec tout ce qu’on y trouve comme conflits d’intérêts, manipulations, pots de vin, corruption , etc… A travers cette intrigue très moderne, Cobert donne une vision du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui puisque de telles histoires défrayent régulièrement la chronique. De manière plus générale, je dirai que ces sombres affaires de corruption et d’intérêts privés qui se mêlent honteusement à la notion d’intérêt général sont de tous temps.  

          Pour conclure, remarquons que Cobert, tout en gardant Du Roy comme personnage principal, met aussi les femmes au centre de son roman. Sombres intrigantes, elles prennent notre héros au piège et le font chuter du piédestal sur lequel il s’était hissé à la fin du roman de Maupassant. Bref, dans Belle-Amie, Georges Du Roy est puni par là où il a péché, comme on dit. Harold Cobert fait triompher les femmes et Du Roy finit comme une pauvre marionnette déchue.  Ainsi, les femmes paraissent-elles, ici, aussi habiles que les hommes dans le domaine de la magouille. Est-ce un point positif ? Je ne sais. En tout cas, leurs manigances, elles les mènent au nom de la justice. Dans un monde d’hommes, là où, seules, elles n’arriveraient à rien, elles s’unissent pour punir ce Bel-Ami qui s’est comporté de manière innommable avec elles ou avec leurs proches.

          Il n’est pas facile de prendre la suite d’un écrivain comme Guy de Maupassant. On pourrait dire d’Harold Cobert qu’il est sacrément gonflé et prétentieux. Mais notre auteur relève plutôt bien le défi car même si sa plume est moins enlevée que celle de Maupassant, il propose un roman très malin qui nous pousse à redécouvrir le maître.



25/06/2023
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