LECTURES VAGABONDES

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Alberto Moravia : Les indifférents/Fi de l’indifférence !  

        

          En tout état de cause, je ne suis pas restée indifférente au roman qu'Alberto Moravia a écrit en 1929 et qui s'intitule Les indifférents. L'œuvre paraît en France en 1949 aux éditions Flammarion.

 

            Nous sommes à Rome, à la fin des années 1920. Dans une demeure bourgeoise vivent Marie-Grâce et ses deux enfants Michel et Carla qui fête ses 24 ans. Ils reçoivent très souvent la visite de Léo Mérumeci qui est l'amant de Marie-Grâce et qui s'apprête à faire main-basse sur la demeure de cette dernière – qui connaît des heures difficiles, financièrement. Certes, Marie-Grâce espère la clémence de Léo, qui détient l'hypothèque sur la maison, mais ce dernier, même s'il fait des promesses, n'a nullement l'intention d'épargner sa maîtresse. De toutes manières, Léo courtise la fille de Marie-Grace, Carla. Lisa, une amie de Marie-Grâce a, quant à elle, des vues sur son fils, Michel, qui ne sait s'il doit céder et faire de Lisa sa maîtresse. En effet, il ne l'aime pas et voudrait vivre sincèrement ; cependant, Léo lui conseille de coucher avec Lisa dont les charmes ne sont pas à dédaigner – il le sait, lui qui fut son amant avant de connaître Marie-Grâce. D'ailleurs, Marie-grâce, est persuadée que Léo la trompe avec Lisa qu'elle jalouse. Un soir, Lisa surprend une étreinte entre Léo et Carla. Elle garde le secret, pour l'instant. Le soir de ses 24 ans, Carla, qui rêve d'une nouvelle vie, couche avec Léo. Lors d'une visite de Michel chez elle, Lisa révèle la liaison de sa sœur avec Léo. Michel, qui déteste Léo – sauf si ce dernier venait à l'aider dans sa vie professionnelle – décide de se rendre chez lui pour le tuer. Il achète, en route, un revolver. Cependant, la scène de rivalité masculine tourne court : Léo désarme Michel tandis que Clara sort de la chambre à coucher de Léo. S'ensuit une grande discussion au cours de laquelle Léo demande Clara en mariage – il redoute de voir la maison de Marie-Grâce lui échapper. Sur le chemin du retour, Clara annonce à Michel qu'elle a l'intention d'accepter la proposition de mariage de Léo. Mais une fois rentrés chez eux, se profile une fête chez les Bérardi dont le fils pourrait bien être un prétendant sérieux. Tandis que Clara met entre parenthèse sa décision, Marie-Grâce se sent soulagée car elle pense que finalement, Léo ne la trompe pas avec Lisa. Et c'est déguisées – Carla en pierrot blanc, Marie-Grâce en noir – que toutes deux se rendent au bal masqué.

 

            Indéniablement, le roman Les indifférents de Moravia prend souvent un aspect théâtral. Il présente en effet cinq personnages qui se rendent visite, se rencontrent, mangent ensemble... et couchent ensemble pour certains. Les lieux, comme au théâtre, sont souvent des intérieurs : celui de Marie-Grâce et de ses enfants, celui de Léo, celui de Lisa. Certes, quelques passages se situent dans les rues de Rome à mi-chemin entre deux adresses mais ces courtes balades dans la ville sont propices aux rêveries des personnages, surtout celles de Michel qui s'imagine en preux chevalier, vengeur des outrages faits à sa famille. Ces huis-clos familiaux se déroulent donc dans des intérieurs figés où l'ombre est reine. Bien évidemment, on est sensible au côté symbolique de la chose. Les ombres sculptent les visages, leur donnent un aspect changeant car il est vrai que personne, dans Les indifférents, n'est sincère avec l'autre, personne ne montre son vrai visage. Entre tous ces personnages règne le mensonge et le non-dit. Enfin, pour en terminer avec le décor, ces deux journées – c'est à peu près la durée de l'histoire - sont marquées par une météo de chien. Il pleut, et parfois, la tempête fait rage. Et puis, le temps se calme. Il y a même une matinée de beau temps ! Le déchainement des éléments préfigure une catastrophe... qui n'aura pas lieu car Michel est décidément trop maladroit : il se rend chez Léo dans l'intention de le tuer avec un révolver vide.

 

            Cependant, d'une manière générale, le roman Les indifférents présente des personnages qui sont en pleine crise existentielle. En effet, derrière la routine du quotidien, le calme apparent des repas voire même le silence, chacun nourrit des rancœurs et de l'agressivité, parfois de la haine. Michel est le plus représentatif de cet état d'esprit. Il se sent indifférent à tous et à tout et il fait semblant d'avoir des sentiments. Il voudrait bien en découdre avec Léo, qui est son opposé et qu'il déteste. Ce dernier est en effet matérialiste et jouisseur. Ainsi, Michel rêve de lui mettre une claque et pourquoi pas de le tuer pour venger l'honneur perdu de sa sœur. Cette rêverie l'emmène même à envisager son propre procès. Mais toutes ces velléités finissent par tomber lamentablement à l'eau et Michel se retrouve Gros-Jean comme devant. Comme une sorte de Don Quichotte, il rêve d'en découdre mais fait de grands moulinets dans le vide. 

            Carla, de son côté, rêve d'une autre vie car dans celle-ci, elle s'ennuie. Voilà pourquoi elle envisage de coucher avec Léo. Cet acte inaugurerait une nouvelle vie. Carla déteste sa mère et ne veut pas lui ressembler. Cependant, c'est bien l'amant de cette dernière qu'elle fait sien. Et c'est avec lui qu'elle envisage de se marier ! Son bonheur final a tout de l'esprit petit-bourgeois qu'elle voulait pourtant fuir. Enfin, sa coucherie avec Léo est minable et prête à rire jaune car le très passionné Léo se douche avant de venir rejoindre Carla, puis une fois l'affaire accomplie, il s'endort et se met à ronfler.

 

            Enfin, Marie-Grace est sans doute le personnage le plus ridicule de toute la famille. En effet, il n'y a en elle rien d'absolu. C'est une femme vieillissante qui refuse de vieillir. Elle veut, coûte que coûte, garder son amant et le soupçonne d'avoir renoué avec son ancienne maîtresse, Lisa. Ses doutes sur la fidélité de Léo, son dégoût de Lisa, elle les exprime à tour de bras et à qui veut l'entendre. Elle ne se doute pas que sa pire ennemie, c'est sa propre fille dont elle est totalement dupe. Ses crises de jalousie sont pesantes, théâtrales et ennuient tout le monde.

 

            Enfin, les relations amoureuses sont ambigües. Il faut dire qu'en son temps, le roman a fait scandale. En effet, Léo a connu celle dont il fait sa maîtresse, Carla lorsqu’elle était toute petite. Il aime penser qu'elle est toujours et encore sa petite fille chérie et adore la prendre sur ses genoux comme un papa pervers. Lisa, de son côté, convoite Michel comme un adolescent dont elle voudrait faire l'éducation. Elle l'imagine dans toute sa maladresse de puceau alors que le jeune homme est dégoûté d'elle. Ainsi, les relations amoureuses, dans Les indifférents se nouent avec un parfum d'inceste. Il faut dire que les personnages évoluent en vase clos, ce qui ne leur permet pas de s'ouvrir à des inconnus.

            Ainsi, je ne suis pas restée indifférente à ce jeu de massacre de la petite bourgeoisie italienne qui constitue l'intrigue de ce grand roman de Moravia. J'ai pris grand plaisir à lire Les indifférents dont on dit qu'il est le chef d'œuvre de l’un des maestros de la littérature italienne. 



04/12/2023
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