LECTURES VAGABONDES

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Milan Kundera : Risibles amours.     

     

  Le saviez-vous ? S’il a écrit de nombreux romans et essais, le très grand Milan Kundera est aussi l’auteur d’un recueil de nouvelles, assez ancien, puisque ces dernières ont été écrites en Bohème, entre 1958 et 1968. Du reste, en France, Risibles amours – c’est le titre de ce recueil de nouvelles – paraît en 1970 aux éditions Gallimard.

 

          Personne ne va rire : le narrateur enseigne l’histoire de la peinture à l’université de Prague. Depuis peu, il a une compagne nommée Klara. Son existence va basculer le jour où il reçoit une lettre d’un certain M Zaturecky qui lui demande d’écrire une note de lecture à destination de la revue La pensée plastique, note qui portera sur l’article qu’il vient d’écrire concernant un maître du dessin thèque, Mikolas Ales. Or, l’article est très mauvais mais personne n’a le cran de le dire en face à l’auteur. Le directeur de la revue, le docteur Kalousek, profitant de l’aubaine d’une telle demande, charge notre héros de rédiger la note de lecture en défaveur de l’article de Zaturecky. Or, notre narrateur n’a pas envie de blesser un homme qui l’admire et qui lui demande un service. Il tente d’échapper à Zaturecky en prétextant un voyage en Allemagne, une maladie… en déplaçant ses jours de cours clandestinement. Mais Zaturecky signe et persiste. Un jour, il se rend au domicile du narrateur et tombe sur Klara, la petite amie de ce dernier. Lorsqu’enfin, il arrive à rencontrer notre héros, ce dernier lui dit qu’il n’écrira pas de note de lecture sur l’article car il a fait des avances à sa petite amie lors de son entrevue avec elle. Zaturecky se récrie qu’il n’en est rien et bientôt, c’est sa femme que le narrateur a sur le dos… et celle-ci n’est pas commode : elle fait scandale. L’affaire s’envenime et Klara est inquiétée pour avoir menti tandis que le narrateur est limogé. Il a beau crier à la plaisanterie, on le soupçonne d’avoir des mœurs dissolues et de mentir. Il rencontre madame Zaturecky qui lui explique à quel point la vie est difficile pour eux qui n’ont presqu’aucun revenu, à quel point cette note de lecture était importante pour elle et son mari. Bref, alors que notre héros, un peu lâche, il faut bien le dire, ne voulait pas blesser l’amour-propre de Zaturecky en disant la vérité sur son article, il est mis sur la touche et traité partout comme un paria. Et même Klara le quitte car il lui avait promis une place de mannequin, à elle qui n’est que couturière ; il s’avère finalement incapable de tenir sa promesse, tout comme il avait promis la note de lecture à Zaturecky sans l’avoir jamais écrite. Il est donc un menteur. D’ailleurs, le directeur de la revue, le docteur Kalousek, a promis à la jeune femme une place de mannequin…

        La pomme d’or de l’éternel désir :  Notre héros du jour a un bon ami, Martin, avec lequel il s’adonne à une activité peu ordinaire : rencontrer des femmes, les accoster, et obtenir d’elles un rendez-vous. Un jour, ils séduisent une jeune infirmière et rendez-vous est pris avec elle et une collègue de l’hôpital où elle travaille, pour ensuite passer la soirée ensemble. Or, le jour J est arrivé et nos deux héros s’adonnent au repérage : ils abordent différentes filles et obtiennent d’elles une promesse de rencontre ultérieure. Lorsqu’ils retrouvent l’infirmière et sa collègue, à l’hôpital, rendez-vous est donné pour la soirée. Or, Martin est marié et refuse de rentrer tard. Bref, il va falloir réussir à coucher avec les deux filles en moins d’une heure. Et le temps passe… les amis continuent de repérer des filles. Cependant, le narrateur se rend compte que Martin ne va jamais plus loin que le fameux repérage et passe son temps à fanfaronner. Quant à lui, il lui a menti en lui annonçant qu’il fréquentait une jeune étudiante. Enfin, voilà l’heure du rendez-vous avec les deux jolies infirmières. Elles sont en retard et Martin s’impatiente : il va partir. A ce moment-là, le narrateur aperçoit les deux filles dans le rétroviseur et démarre : n’est-il pas plus excitant de simplement désirer ?

          Le jeu de l’auto-stop : Un jeune homme et une jeune fille filent en voiture vers la destination de leurs vacances. En route, ils se mettent à jouer à l’inconnu qui prend en auto-stop une inconnue. Ce qui ne devait être qu’un jeu inconnu tourne au cauchemar : la jeune fille joue les libertines, les provocatrices, et le jeune homme est perturbé. Lui qui la croyait si pure ! Il se montre donc cynique avec elle. Le jeu devient tellement sérieux qu’il change d’itinéraire prévu et l’emmène dans un hôtel miteux pour passer la nuit avec elle. Là, il la traite comme une putain et une part d’elle aime ça. Cependant, elle est aussi meurtrie par l’attitude de son petit ami qui ne comprend pas qu’elle joue le rôle d’une femme qu’elle n’est pas. Elle se met à pleurer. Le jeune homme finit par comprendre et tout rentre dans l’ordre. Apparemment.

          Le colloque : Voici une nouvelle en 5 actes. L’action se passe dans la salle de garde d’un hôpital. 5 personnes discutent d’amour et de séduction. Le docteur Havel et le Patron sont des collectionneurs de femmes. Havel a la réputation de prendre toutes les femmes qui se présentent à lui – il est comme la mort, dit-on de lui. Le patron se souvient de son plus grand succès : une femme qui couchait avec tous les hommes a refusé de se donner à lui ; il est donc l’unique dans la vie de celle-ci. Deux femmes sont également présentes : la doctoresse et Elizabeth. Celle-ci fait des avances au docteur Havel et contre toute attente, celui-ci les refuse. Alors, celle-ci se met à danser de manière provocante devant lui, mime un numéro de strip-tease avant de s’éclipser. Un jeune étudiant en médecine est également de la partie. Il s’appelle Fleischman et souhaite avoir une liaison avec la doctoresse. Cependant, Elizabeth est retrouvée nue et inconsciente dans la salle de repos : le gaz est ouvert. Tout le monde croit qu’elle a fait une tentative de suicide suite au refus du docteur Havel d’avoir une liaison avec elle. C’est alors que ce dernier a l’idée d’une plaisanterie : il fait croire à l’étudiant Fleischman qu’Elizabeth est amoureuse de lui et que, s’étant rendue compte de son indifférence, a voulu se suicider. Fleischman est bouleversé à l’idée d’un si grand amour ! Il se rend dans la chambre où Elisabeth repose, lui offre des roses et une déclaration d’amour. Pourtant, Elizabeth, très touchée, affirme qu’elle a seulement voulu se faire chauffer du café et s’est endormie, laissant le gaz ouvert. De toutes manières, Fleischman ne veut pas entamer une liaison avec elle. Il a des vues sur la doctoresse et cette attirance semble réciproque.

        Que les vieux morts cèdent la place aux vieux morts : Une femme rencontre par hasard un homme avec lequel elle a couché une fois, il y a longtemps. Ils se retrouvent chez lui et commencent à badiner. Aucun des deux n’a envie de coucher avec l’autre pour des raisons diverses : elle se dit que son fils n’approuverait pas, qu’elle n’a pas envie que l’homme voie à quel point elle a vieilli ; il se dit qu’il n’a pas envie d’une femme vieillissante, qu’il va abimer le souvenir qu’il a d’elle. Pourtant, il a envie de la voir nue et elle se dit qu’il lui plait. Alors ils finissent par coucher ensemble.

        Le docteur Havel 20 ans plus tard : Le docteur Havel a épousé une actrice célèbre. Mais c’est seul qu’il se rend en cure. Là, un jeune reporter souhaite avoir une interview avec son épouse. Il se lie d’amitié avec le docteur qui l’a invité à diner. Le jeune reporter souhaite avoir l’avis du docteur sur sa petite amie. Ce dernier dit « bof ». Et le jeune homme rompt avec elle car il ne veut pas qu’on le voit avec une femme « bof ». D’autant plus que le docteur Havel lui a vanté les charmes de la doctoresse Frantiska, une femme tout à fait commune. Cependant, s’il est déçu de la nuit passée avec cette soi-disant femme fantastique, il n’ose pas le dire. De son côté, l’épouse du docteur Havel vient rendre visite à son mari qui, aussitôt dans les yeux des autres, devient plus désirable : il faut dire que s’afficher avec une si belle et célèbre actrice le rehausse dans le regard d’autrui. Tandis que le reporter se tape Frantiska, le docteur Havel, auréolé de succès grâce à son épouse, s’éloigne au bras d’une splendide curiste.

          Edouard et Dieu : Edouard est instituteur dans une petite ville de Bohème. Sa petite amie, Alice, très croyante, refuse de coucher avec lui. Alors, pour lui plaire, Edouard va à la messe. Or, la directrice l’aperçoit sur le parvis de l’église. Il est aussitôt convoqué par la direction car, à cette époque de la ligne dure du Parti, il est mal vu de croire en Dieu ; le seul credo valable, c’est le Socialisme. Etrangement, Edouard, qui n’est pas croyant, ne se défend pas et affirme qu’il croit en Dieu. Tout le monde admire son courage. Pour rééduquer Edouard, la directrice lui prescrit plusieurs entretiens avec elle. Elle est vite séduite par le jeune homme et sa sincérité. Elle lui fait des avances qu’il n’ose repousser. Pourtant, cette nuit-là, il humilie la directrice en la forçant à prier à genoux, nue devant lui. Et le plaisir qu’il aura sera très intense. De son côté, Alice finit par céder à Edouard et étrangement, le jeune homme est déçu, lui qui voulait tant coucher avec elle. Edouard ne sait pas s’il croit ou pas en Dieu. Mais l’idée qu’il n’existe pas le rend triste.

 

          Si  Risibles amours est un recueil de nouvelles assez peu reconnu en tant qu'œuvre majeure de Kundera, c'est que ces nouvelles ont été écrites dans la jeunesse de l'auteur. Pourtant, elles annoncent les grands romans de Kundera. En effet, on peut remarquer que Le colloque et Le docteur Havel 20 ans plus tard présentent des thèmes contenus dans La valse aux adieux. Dans Personne ne va rire et Edouard ou Dieu, on reconnaît La plaisanterie : en effet, l'action des trois récits est basée sur un petit rien, un acte sans gravité dont les conséquences vont finir par ruiner la vie de celui qui a « fauté ». Enfin, Le jeu de l’auto-stop fait penser à L’insoutenable légèreté de l’être à cause du thème du jeu érotique présent dans les deux œuvres. Par ailleurs, on retrouve dans les nouvelles et les romans des lieux favoris de Kundera comme les stations thermales ou encore l'hôpital. On peut aussi retrouver certains types de personnages : souvent des séducteurs impénitents. 

          Et puis, comme à son habitude, Milan Kundera explore les malentendus, les non-dits, qui existent dans le jeu de la séduction. Par exemple, voyez les pensées de l'homme et de la femme de la nouvelle  Que les vieux morts cèdent la place aux vieux morts ! Ils sont tous deux loin d'avoir envie de coucher ensemble ! Et pourtant ! Quant aux malentendus, ils existent dans toutes les nouvelles. Il n'y a qu'à se servir, monsieur, dame !

Dans cette exploration des amours humaines, Kundera constate souvent que le désir est plus fort que la conclusion : l'acte sexuel proprement dit. D'ailleurs, la plupart du temps, lorsqu'arrive le temps de la consommation charnelle, on est déçu. C'est le cas d'Edouard qui, lorsqu'Alice se donne à lui, ressent de la déception - alors qu'il attendait ce moment depuis si longtemps ! - tandis qu'il éprouve un plaisir intense entre les bras de la laide institutrice.

          Par ailleurs, ce qui rend également risibles nos amours, c'est l'importance qu'on accorde au regard des autres. Ainsi, si le jeune reporter évince sa petite amie, c'est que le docteur Havel l'a trouvée banale – le jeune reporter ne se rend même pas compte du fait que ce dernier ment !  Inutile de dire que dans l'univers romanesque de Kundera, aucun homme ne veut être vu au bras d'une femme laide !

          Enfin, dans ces nouvelles de Kundera comme dans toute son œuvre romanesque, on trouve le thème de l'impact du régime communiste dans la vie des individus et particulièrement dans leurs amours. Dans personne ne va rire, le narrateur est soupçonné d'avoir une vie dissolue tandis qu'Edouard – dans Edouard et Dieu - est inquiété car on subodore qu'il croit en Dieu. Dans ces nouvelles, le collectif a le pouvoir de broyer l'individu de sa main de fer. 

Ainsi donc, on a aimé ces nouvelles de Kundera, surtout parce qu'elles annoncent le génie qui se trouve ailleurs : dans les romans. Quant à nos amours, elles n'ont pas fini de faire rire notre fin philosophe !

 

NB : Milan Kundera s’est éteint le 11 juillet 2023.  



27/08/2023
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